Concours de la rentrée #Quentin Prigent

14 octobre 2012 21 h 38 min

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Ce jour-là, à la fin du mois de septembre, en l’espace de dix minutes, quelque chose a basculé. Dos au mur, les pieds sur le balcon, j’attendais. J’attendais un signe, un regard en ma direction qui allait me faire changer d’avis. Me faire changer de vie : cette toile qui m’emprisonnait au fil des années.

Naïve, j’avais attendu le bonheur pendant tant d’années et je n’avais pas toujours pas appris de mes erreurs. Qu’est-ce qui pouvait bien me faire patienter ? Personne ne me prêtait la moindre attention…

Mon appartement se trouvait près de la place du marché. C’était le matin. Il faisait frais. La pluie tambourinait sur les toiles qui recouvraient les stands. Les commerçants s’étaient chaudement vêtus et certains passants s’étaient même habillés de blousons imperméables. L’eau ne les atteignait pas. L’eau ne les irritait pas. Ils étaient comme détachés.

Comme je les enviais.

Moi, sur le balcon, j’étais trempée jusqu’aux os. J’étais épuisée. Les gouttes s’écrasaient sur mon corps à un rythme de plus en plus effréné et me vidaient de toutes mes forces. Je n’étais pas de taille à résister. Je n’étais d’ailleurs de taille pour rien. A quoi ça sert de lutter quand tout est perdu d’avance ?

Je posai ma lourde main sur la rambarde d’acier. Elle était gelée. Ma main y resta accolée comme un présage de non-retour. J’entrepris alors d’observer le dernier lieu de mon existence. La cuisine qui ne s’était toujours accommodée que d’un seul couvert. Le salon d’où n’était diffusé qu’un programme sur le quotidien d’une grosse épaulée des seuls paquets de chips qu’elle engloutissait à une vitesse éclair. Les toilettes qui en avait vu des vertes et des pas mûres grâce à mes fameux doigts : ceux qui après avoir permis de m’empiffrer allaient chatouiller de la glotte. La chambre dont les draps étaient imbibés des larmes et de la morve qui ruisselaient tous les soirs de mon visage répugnant. Et enfin le balcon, celui à partir duquel j’avais l’habitude de me demander à la nuit tombée si les gens aux alentours étaient aussi heureux que moi. Celui que j’avais décoré d’une multitude de fleurs. En effet, mon appartement arborait une plastique irréprochable pour les passants désireux d’y jeter un œil. Les chatoyantes couleurs de mes protégées devaient sûrement les satisfaire. Après tout, c’était tout ce que je souhaitais leur offrir. Les volets restaient constamment fermés. Seule la nuit me permettait de me révéler et de les entretenir… mes petites concubines qui m’obligeaient encore à me lever le matin.

L’eau s’écoulait à présent des pots de fleurs. Mes concubines étaient en train de se noyer. Voulaient-elles m’accompagner dans mon voyage ?

Cette pensée me rassura et m’encouragea à accomplir mon souhait.

Je commençai à enjamber la rambarde quand mon pied droit glissa et se coinça entre les barreaux. Un coup je te pousse, un coup je t’empêche de sauter. Cette balustrade était décidément bien lunatique. Me débattant, mon pied retenu par la sculpturale traitre d’acier se retira violemment et frappa un pot de fleur qui se trouvait à côté. Après s’être renversé, celui-ci se fracassa au sol et roula, pour ce qui en restait, en direction du vide. C’était la fin.

C’est alors qu’il se bloqua contre la balustrade. De quelques millimètres, il était trop large pour se faufiler sous le barreau inférieur.

Moi, j’étais revenu à ma position de départ. Les deux pieds sur le balcon, j’étais hypnotisée par cette troublante interruption.

« Hey mademoiselle! Vous devriez vous couvrir ! »

Une femme d’en bas m’avait appelée. D’autres gens me regardaient d’ailleurs. Certains même me souriaient. Il y avait également des enfants qui pointaient du doigt le mince filet de terreau qui s’échappait du pot cassé et qui s’écoulait gracieusement de mon balcon.

Ce terreau dont mon pied droit était recouvert.

 

 

 

 

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