Concours de la rentrée #Audrey_TdP

22 octobre 2012 22 h 36 min

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Ce jour-là, à la fin du mois de septembre, en l’espace de dix minutes, quelque chose a basculé.

C’est comme si le sol tremblait sous ses pieds, comme si le ciel lui tombait sur la tête. Le temps s’était-il arrêté ? Elle avait soudain l’impression que les évènements se déroulaient au ralenti, le son semblait s’être coupé, elle n’entendait que des bribes de paroles, comme des mots impossibles, incroyables, venus d’un ailleurs qu’elle ne connaissait pas. « Traversé », « Trop vite », « corps tordu », « regard vide »… Elle ne voyait plus que des ombres, des visages flous, des couleurs rayées, comme des fantômes qui s’approchaient d’elle. L’angoisse lui serrant la gorge, incapable d’articuler le moindre mot, elle leva le visage au ciel pour essayer d’attraper un peu de lumière du jour, puis sombra dans un noir profond. Le soleil d’une fin d’après-midi, sa douceur enveloppante, ses teintes chatoyantes, les jolies feuilles bercées par une douce brise.

Elle avançait lentement sur le chemin. C’était l’une de ces belles journées encore rayonnante, l’une de celle qui vous promette des bonheurs infinis. Une douce parenthèse au cœur de l’automne, une pause enchantée, dorée, suspendue. Comme si les aiguilles s’étaient arrêtées, lui permettant de profiter encore de ces instants chaleureux, avant que ne vienne s’installer la morsure de l’hiver. Elle aimait ces instants simples, ces détails joyeux, ces petits bouts de joie qu’il suffisait de cueillir çà et là, il fallait juste ouvrir les yeux, remonter le menton, la vie était ici, s’offrant à son regard, magnifique, majestueuse, impétueuse et généreuse.
Ses pieds effleurant un tapis de couleurs ocre, elle s’imprégnait de ce spectacle grandiose, de ces odeurs si particulières, elle aurait voulu graver ce souvenir au plus profond de sa mémoire, afin que les jours tristes, elle puisse s’y réfugier et retrouver des sensations réconfortantes. La nature était un présent, elle l’avait toujours pensé. Elle chérissait ce monde vivant et sublime, remerciant le Ciel de la combler de tant de beauté. Elle cultivait, elle aussi au fond d’elle-même un jardin où, lorsqu’elle la réalité lui paraissait trop abrupte, elle venait s’y reposer, contemplant ses pensées, arrachant les mauvaises herbes, arrosant ses projets et ses idées.
Prendre du recul et réfléchir lui avaient toujours permis d’avancer sereinement dans la vie. Se promenant tranquillement entre les hêtres endormis et les sapins dégarnis, elle aperçut au bout de son chemin une lumière éclatante de beauté. Celle-ci l’attirait vers elle imperceptiblement et elle ne put alors y détacher ses yeux. Elle pressa le pas à travers le cocon de verdure, et tenta de rejoindre cet éclat lumineux. Autour d’elle, la forêt continuait de la combler de son spectacle sublime : champignons, mousse, feuilles, oiseaux et arbres semblaient s’être concertés pour offrir leur meilleur profil à cette inconnue venue s’inviter dans leur noble demeure. La lumière n’était plus qu’à quelques mètres d’elle. Tout en avançant, elle essayait de recueillir en elle ces instants précieux, ces mouvements, ces images magnifiques, ces sons si uniques. Elle progressait, mais en même temps, elle captait des instantanés dans sa mémoire, un moment présent qui bientôt serait un souvenir charmant. Son cœur battait fort dans sa poitrine.

Encore quelques pas. Plus que vingt. Dix. Trois, deux, un, et…il apparut sous ses yeux, tel un ange couronné de lumière, resplendissant de beauté, vigoureux, calme, fort et silencieux à la fois. Sur le moment, elle fut incapable d’articuler un seul mot. Elle avait la sensation que son souffle s’était coupé, les voyelles et les consonnes se coinçaient dans sa gorge, ne parvenaient pas jusqu’à ses lèvres.
C’est lui qui l’apostropha :
« J’imagine que ma présence ici doit te paraître plus que étrange. Et pourtant nous avons une chance exceptionnelle de nous rencontrer une dernière fois. Je voulais que tu saches que tu as été l’une des personnes qui a le plus compté dans ma vie. Tu l’as embellie à ta façon, et elle n’aurait pas été aussi joyeuse sans nos fous rires. Je pouvais aussi me confier à toi, tu m’as toujours écouté et prodigué de bons conseils. C’est grâce à toi si j’ai pu en arriver où je suis. Cependant, aujourd’hui nos vies se séparent. Tu auras l’impression que je ne serais plus là, mais je veillerais toujours sur toi. Et lorsque je te manquerais, tu n’auras qu’à me parler, évoquer les chaleureux souvenirs que nous avons construits ensemble ».
Il lui adressa alors un sourire emplit de douceur et caressa sa joue qui venait de voir couler une larme. Immobile, elle ne bougeait pas. Comme si elle ne venait pas de croire ce qu’elle venait d’entendre.

Au fond d’elle-même, elle croyait être dans un rêve. Il posa un dernier regard bienveillant sur elle et quelques secondes plus tard, la lumière s’évanouit, laissant la place à la forêt chatoyante.

« Madame ! Madame ! J’aurais besoin de votre nom s’il-vous-plaît. Et il faudrait que vous m’accompagnez afin de remplir certaines formalités…»

Sortant de sa torpeur, elle reprit enfin ses esprits. Hésitant à regarder autour d’elle, elle s’efforça cependant à ouvrir les yeux. Le corps tordu de son frère gisait quelques mètres plus loin, percuté plus tôt par une voiture arrivant à trop grande vitesse et qui ne l’avait pas vu traverser. À ses côtés, un policier d’une quarantaine d’années tentait de recueillir le maximum d’informations sur ce qui venait de se dérouler. Elle le savait parfaitement bien. Son frère venait de rentrer après un an passé à voyager à l’étranger. Dès son retour, il l’avait contacté et ils s’étaient retrouvés pour qu’il lui raconte ses péripéties de bout du monde.
Alors qu’ils se promenaient non loin de la forêt de leur enfance, il avait traversé la route. Et son monde à elle s’était arrêté. Mais ces mots qui bouillonnaient au fond d’elle ne parvenaient pas à traverser ses lèvres. Elle observait les derniers secours qui s’affairaient autour de son frère. Il y a quelques minutes, l’un deux s’était avancé vers elle, l’air triste, en murmurant ces mots qu’elle ne voulait pas entendre : « nous avons tout essayé…».
Elle s’était sentit soudainement si accablée et si lourde. Elle aurait voulu remonter le temps. Elle ne pouvait pas croire qu’une telle chose puisse être arrivée. Son frère, son confident, son protecteur, celui avec qui elle avait presque tout partagé.

Malgré leurs vies d’adultes, ils étaient demeurés proches et se rencontraient aussi souvent que possible. Lorsqu’il y a plus d’un an il lui avait annoncé qu’il souhaitait partir faire le tour du monde, elle s’était mordu les lèvres : comment pouvait-il partir et la laisser ainsi ? Pourtant, après réflexion, elle avait pensé qu’il avait le droit de faire de sa vie ce qu’il en voulait. D’ailleurs, elle l’avait toujours connu aventurier et cette nouvelle ne l’avait que peu étonnée. Ce qui l’effrayait, c’était l’idée d’être loin de lui. Elle avait peur que le lien qu’ils avaient tissé ne s’effiloche avec le temps et l’éloignement. Pourtant, il n’en a rien été. Il lui envoyait régulièrement des cartes postales des lieux par où il passait, lui contant ses incroyables rencontres, les paysages splendides qu’il avait l’occasion d’admirer. Et c’est ainsi que malgré ce voyage, elle sentait sa présence, elle se sentait proche de lui. Bien entendu, elle n’avait cependant qu’une hâte, celle qu’il rentre enfin.

Il y a quelques semaines, il lui avait téléphoné pour lui annoncer son retour. Il avait désormais visité tous les pays qu’il souhaitait. Son sang à elle n’avait fait qu’un tour. Rapidement, ils s’étaient accordés sur la date de leurs retrouvailles. Elle en sautait de joie d’avance. Cette date était cet après-midi ensoleillé. Ils avaient décidé de se retrouver dans un endroit qui leur rappellerait leur enfance. Plus précisément, une forêt où tous les deux ils y avaient fait les quatre cent coups. Alors qu’ils approchaient de celle-ci, ils devaient traverser la route afin de la rejoindre. Il s’était lancé le premier. Une voiture ne l’avait pas vu. Ensuite, la vie autour d’elle semblait tourner au ralenti. Son corps qui percute le capot. Le véhicule stoppant quelques mètres plus loin. Le chauffeur dans tout ses états arrivant vers son frère. Les sirènes des ambulances. Celles des voitures de police. Dix minutes. Il avait suffit de dix minutes pour que son frère, cet être fondamentalement important dans sa vie, y disparaisse. Une réalité qu’elle refusait de voir. Une réalité qu’elle refusait de croire.

Alors, comme pour échapper à cet évènement trop dur à accepter pour le moment, son esprit s’était envolé, lui offrant une parenthèse enchantée. Des instants qui n’avaient duré que quelques secondes. Et qui pourtant lui avaient paru une éternité. Elle se souvint alors. Ses mots. Sa présence. Sa lumière. Même si pour le moment, elle éprouvait des difficultés à comprendre et à voir ce qu’il s’était passé, elle savait et elle sentait que son frère serait toujours auprès d’elle. Quoi qu’il arrive. Elle leva les yeux vers l’homme en uniforme. Ce dernier la regardait d’un air compatissant. Et les mots traversèrent ses lèvres.

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