Hugo

12 mai 2012 19 h 39 min

La dernière fois que j’ai vu Hugo, je ne l’ai pas vu.
Cela peut paraître particulier voir totalement incongru et pourtant…
Je m’en souviens, c’était un Mardi, et alors que je finissais plus tôt qu’à l’accoutumée, je décidai de lui rendre visite. Cela faisait des semaines, des mois, et même des années que je ne l’avais pas vu. Le quotidien allant, le temps filait. Les contraintes de la vie s’invitant, s’imposant à moi, les saisons ont défilé selon leur rythme régulier. Et je me suis laissé volontairement entraîner par les courants de la vie, ses marées tantôt montantes, tantôt descendantes. Je me suis parfois immergée sous l’eau pour ne plus entendre le monde extérieur, ne plus le voir, ne plus sentir ses odeurs. J’ai souvent failli me noyer. Mais j’ai encore plus souvent préféré me battre pour revenir à la terre ferme. Je me suis cloitrée dans cette vie construite sur des fondations solides. Je m’y sentais bien, jusqu’à ce mardi, jusqu’à ce que cette idée devienne obsession.

L’envie de retourner sur mon passé, de voir Hugo, a germé dans mon esprit pour ne plus le quitter. Je ne me suis pas souciée de la rancœur qui pouvait avoir émergé de ce long silence. J’avais envie, je l’ai fait. C’est tout. J’ai tracé la route comme dirait mon grand-père.

J’ai filé, et me voilà arrivée, ici. J’observe : depuis la dernière fois, rien n’a changé. L’immense barrière noire est toujours aussi lourde, et a conservé ce grincement si particulier. Le jardin est toujours entretenu, et illuminé de quelques fleurs ici et là. Combien de fois suis-je venue ici, fugitive nocturne, avec sous le bras un simple sac de couchage ? J’ai la sensation étrange, et intense de me glisser en intrus dans des souvenirs refoulés. J’ai l’impression que ma présence ici risque de déranger l’Histoire, de provoquer des interférences.
Que voit-il de nos souvenirs, lui, depuis ces quatre murs qui abritent bien des secrets. Pour une fois, j’aimerais effacer le passé, effacer ces absences, ces souffrances, ces mots échangés. N’existe-t-il pas là, au croisement de mes souvenirs et du présent, une manivelle permettant de remonter dans le temps ? Je la tournerais alors, et m’arrêterais à ce jour de 2003 où tout a basculé.
Je choisirais cet autre choix qui s’offrait à moi, et qui aurait tout changé.
Mais il n’y a pas de manivelle, et le passé est toujours là, identique, impassible, prisonnier des chemins empruntés.

Je m’approche, et je frappe du pied l’entrée qui émet un bruit crissant, presque métallique. M’entend-il ?

J’aimerais lui parler et qu’il me réponde droit dans les yeux. J’aimerais me replonger avec lui dans nos souvenirs communs, quand ensemble nous ne faisions qu’un. J’aimerais qu’il m’accueille à nouveau les bras ouverts, comme il le faisait il y a dix ans, et qu’il me serre dans ses bras en me chuchotant à l’oreille que je sens bon. Surtout, pas de reproches, pas de disputes, ni de visage fermé. Non surtout pas. Juste lui et moi, comme avant.

Mais il ne répond pas. J’ai beau tendre l’oreille, être attentive au moindre mouvement, signe de sa présence, je n’entends rien d’autres que les gazouillis des oiseaux dans les arbres.
Je m’y attendais finalement. Au fond de moi, je savais qu’il resterait sûrement dans son silence.
J’ose l’appeler. Ma voix tremble, et se perd dans un écho froid. Aussi froid et noir que cette porte finalement. Cette porte en marbre qui a scellé sa résidence depuis neuf ans  aujourd’hui. J’ose croire que derrière elle,  entre ses quatre planches de bois, il est là, et qu’il m’entend. Qu’est-ce que je fais ici, à me replonger dans ces souvenirs que je n’ai fait que fuir tout au long de ces dernières années. Je reste paralysée, les yeux fixés sur cette plaque, sur ces dates.

Je ne me souviens de rien après çà. Je me rappelle juste mon réveil nocturne, emmitouflée dans un sac de couchage, à côté de lui, comme lorsque j’avais quinze ans.

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