La plume de Somerset Maugham éblouit dans Mrs Craddock

8 mai 2012 15 h 50 min

Imaginez, un mélange de Madame Bovary, La Princesse de Clèves, Jane Eyre et Lady Chatterley, avec une résonnance de Avec vue sur l’Arno. Ne serait-ce pas un mélange explosif ? Et bien cela donne Mrs Craddock, tout droit sorti de la plume de Somerset Maugham. Qui était-ce ? Qu’est-ce donc que ce livre? Aucune idée. Je n’en avais jamais entendu parler de ma vie, mais quand je l’ai vu, j’ai senti qu’il m’avait choisie. Un peu corné, un peu abîmé, c’était le dernier de la librairie. Quelqu’un y avait accroché une petite critique si passionnée que je l’ai acheté, sans réfléchir. Pourtant, j’étais dans une période de dégoût de littérature : j’avais lu trop de choses mauvaises ou dans lesquelles je ne sentais aucune résonnance. Quand on dit qu’il y a LE bon moment pour lire un livre, je suis persuadée que c’est vrai. Mrs Craddock m’avait appelée et j’ai dévoré avidement son histoire, j’ai vécu auprès d’elle, elle prenait vie dans mon quotidien, au détour inattendu d’une pensée, d’un objet, d’une luminosité, d’un souffle de vent. Ce roman est d’une actualité émotionnelle incroyable, bien qu’il ait été écrit il y a 112 ans. Il met en scène Bertha Ley, une jeune femme orpheline avec un caractère bien trempé, qui vit avec sa tante si cynique et indépendante que nous comprenons aisément pourquoi elle est restée vieille fille. Après avoir vécu en Italie, elles reviennent s’installer à Court Leys. Bertha y retrouve ses souvenirs, mais surtout un jeune homme, M. Craddock, métayer du domaine. Elle se persuade qu’elle en est follement amoureuse, et décide de l’épouser. Cette mésalliance pourrait être sans gravité si seulement l’écart intellectuel et le sens du sentiment n’étaient pas si opposés entre ces deux êtres. Si le roman commence par des scènes vues et revues, où de l’eau de rose nous dégouline presque sur les doigts à la lecture, la suite est surprenante. Tout se durcit : le fond et la forme. Cet Edward Craddock, qu’elle a épousé envers et contre tous, va détruire un à un ses rêves et sa joie de vivre. Mais ce n’est ni par violence ni par méchanceté : seulement par de l’indifférence. Mais alors arrive tout l’intérêt de cette lecture : Bertha a de telles attentes qu’elle a projeté sur lui l’idéal masculin qu’elle se construisait depuis des années suite à des lectures et des rêveries. Alors, à qui est-ce la faute ? A Edward de ne pas être à la hauteur des attentes de sa femme ? A elle d’être éternellement insatisfaite car en permanence en train d’attendre des choses dont il n’a même pas idée ? Pour elle, « Bertha ne connaissait le bonheur qu’en compagnie de son époux, et elle éprouvait un plaisir exquis à savoir que rien ne briserait les liens qui les unissait ; ils étaient inséparables à jamais » tandis que pour lui « Il n’est rien de plus utile qu’une bonne connaissance de l’agriculture et des animaux domestiques pour enseigner à un homme la manière de traiter sa femme. » Cela donne un peu le ton, n’est-ce pas ? Mais si le voile tombe, que se passe-t-il ? Peut-on vivre en se rendant compte que des fossés nous séparent de l’être que l’on aimait tant ? Un livre écrit avec une plume magistrale, un niveau de détails très intelligemment retranscrit sans nous donner le tournis balzacien. Je ne peux que le recommander, car il fait réfléchir sur nos comportements face à l’autre, au compagnon, au couple, à la vie qu’on choisit (parce que nous choisissons tout… non ?)

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