Le coffre

1 décembre 2013 21 h 34 min

Les pales du ventilateur suspendu au plafond m’hypnotisent. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis éveillée mais je sais pourquoi. Ripoux, Auguste Ripoux, c’est lui le responsable de mon insomnie. Lui-même qui demain va ouvrir le cadeau que je lui ai offert. Sera t-il satisfait comme les vingt neuf dernières années?

Mon regard dévia alors sur les vingt neuf cadres de chêne vernis qui décorent les murs de ma chambre. Logée sous la glace y repose chacune des lettres de remerciement qu’il m’a envoyé. Il m’a témoigné tant de gentillesse. Comparé à son talent, ce n’étaient pourtant que de simples babioles.

Je me doute bien qu’un petit sourire s’esquissait sur ses lèvres lorsqu’il ouvrait mes colis. Je la vois d’ici, sa bouche fine s’étirant et dévoilant des gencives rose bonbon et des dents éclatantes. Une réaction pareille à la découverte du porte savon fabriqué par une gosse pour la fête des pères : insuffisant.

Il mérite mieux. Je mérite mieux. Demain, il sera émerveillé. Ce cadeau n’a rien à voir avec les précédents. Oui, il poussera un cri de joie, sautera sur son lit et ira courir dehors pour exploser de bonheur. Un bonheur quasi-orgasmique quoi, le même qui m’envahit à la lecture de chacun de ses chefs d’œuvre : Partout l’avalanche, Gaieté intéressée ou encore Attention, trouvaille!

Des sucreries dont se régale mon esprit jamais rassasié. Plus d’une centaine de fois je les ai avalé. Le plaisir ne s’amenuise pas, au contraire il s’amplifie. Je me délecte ainsi de pouvoir parfois prédire la conclusion des phrases de ses romans. Cela me rapproche de lui, un petit peu. Ce héros qui m’a tant appris.

Le réveil sonna enfin : 00h00. Ça y est… Je ferme alors mes paupières puis je chuchote en un souffle : Joyeux anniversaire Auguste. Et je m’endormis.

Et je m’endormis sans savoir que neuf heures plus tard, quelqu’un va sonner comme un excité sous le porche de ma maison. Neuf heures plus tard donc, deux ou trois «J’arrive !» plus tard le temps d’enfiler jean et t-shirt, j’ouvris la porte qui me sépare de l’inconnu.

La tête pendante par mon récent réveil, je ne vis au départ que ses chaussures. Des mocassins lustrés d’où décollent un pantalon de toile brun. Et c’est ainsi que mon regard parcourt cette ascension : de ses chaussures à son visage. Son visage… Sa moustache finement taillée, son nez en trompette, ses sourcils épilés, son front dégarni et son haut de forme…

Auguste Ripoux se tient devant moi, avec une mine défaite et un teint cadavérique.

« Je suis désolé ».

Ces mots s’échappèrent de sa bouche. Une bataille semble faire rage dans son esprit.

Le mien quant à lui se remet avec difficulté du choc encouru par cette vision :

«_Que faites vous ici?

_Je suis désolé Marcy.

Auguste recula alors d’un pas et se tourna vers la porte d’entrée, poussée contre le mur :

_C’est bon là?

Je rêve ou il vient de s’adresser à un morceau de bois?

_Mettez-y un peu plus d’entrain que diable!

Je rêve ou ce dit morceau de bois vient de lui répondre.

Auguste se tourna à nouveau vers moi et me susurra :

_Je suis terriblement désolé Marcy. Pour tout le mal que je vous ai causé, je vous prie de m’excuser.

_C’est un peu mieux, maugréa la voix derrière la porte.

Deux silhouettes apparurent alors d’où est provenu ce faible encouragement. Deux hommes, la quarantaine, qui portent chacun un costard cravate.

Le plus grand me déclara :

_Je comprends que cela ait pu vous gêner Mademoiselle Demi mais ça fait parti du protocole. Tous les fraudeurs doivent y passer.

Le plus petit acquiesce chacune de ses phrases par un bref hochement de tête.

Le plus grand poursuivit :

_Je me présente, je m’appelle Joseph Fouine et voici Renaud Lechien. Nous faisons parti de la BAP : Brigade Anti-Plagiat. En effet, comme vous avez pu le deviner Mademoiselle Demi, Auguste Ripoux est un escroc qui n’a fait qu’utiliser le talent de jeunes auteurs talentueux à ses propres fins.

Monsieur Lechien se mit alors sur la pointe des pieds pour chuchoter dans l’oreille de Monsieur Fouine et celui-ci reprit :

_Mon collègue vient de me signaler que j’y suis peut être allé un peu fort. En effet, maintenant qu’il le dit, je remarque que votre œil droit s’ouvre et se referme de façon anormale, beaucoup trop rapidement à vrai dire…

Un puissant bourdonnement parvient à mes oreilles mais rien que je puisse déchiffrer. Les battements de ma paupière droite s’intensifient comme pour balayer l’irréalité de cette scène. Seulement la graine a déjà germé. Auguste Ripoux n’est qu’un tricheur et un menteur. Telle est l’équation qui fleurit dans mon esprit.

Mon nouveau regard fut tout autre lorsqu’il se posa à nouveau sur l’homme qui me fait face. Son caillou luisant d’où s’élève de façon pitoyable un chapeau racorni. Son ridicule étendard de poils sous ses narines béantes. Ses chaussures huileuses, sur lesquelles s’affaisse son bas informe. Il ne m’inspire plus rien.

Monsieur Fouine déroula alors un parchemin :

« Comme Mademoiselle Demi semble être de nouveau parmi nous, je vais détailler les différentes étapes qui constituent le processus de transfert des biens…

_Le cadeau!

J’avais complètement oublié le cadeau que j’avais offert à cet escroc pour son anniversaire.

_Est-ce que vous l’avez reçu?

_Mademoiselle Demi, de quoi parlez-vous? Me répondit Ripoux, les yeux braqués sur ses chaussures.

_Mon dernier cadeau, Ripoux, l’avez-vous reçu?

Monsieur Lechien m’interpella vivement :

_Justement, Mademoiselle Demi. Mon supérieur Monsieur Fouine comptait vous parler…

_Vous ne comprenez pas, je dois le récupérer!

_Mademoiselle Demi…, Ripoux me regarde à présent dans les yeux. Je suis désolé, le cadeau que vous m’avez offert doit toujours se trouver dans ma boite aux lettres. Ces hommes sont passés me chercher avant que…

_Donnez-moi vos clés!

_Qu’est-ce que vous racontez Mademoiselle?

_Vos clés! Il ne doit absolument pas rester une seconde de plus en votre possession. C’est ce que j’ai de plus cher, vous comprenez?!

Ripoux obtempéra sans trop broncher. Il tira un trousseau de la poche de sa veste et me le tendit. J’eus presque pitié de son air de chien battu. Presque seulement. Il ne la mérite pas. Monsieur Lechien m’attrapa alors le poignet.

_Vous ne pouvez pas faire ça Mademoiselle. Vous ne pouvez pas rentrer chez les gens comme ça.

_Laisse la filer Renaud… murmura Monsieur Fouine, puis il me demanda : je me doute que connaissez son adresse.

J’acquiesçai.

Ma main libérée, je pris le trousseau et rentrai chez moi pour récupérer mes clés de voiture. En prenant le prochain train, j’en aurai pour environ quatre heures aller-retour. De nouveau sous le porche, je surpris Monsieur Lechien au téléphone :

_Oui, elle va bientôt partir. Dépêchez vous!

Et il raccrocha.

_Ils arrivent Monsieur Fouine, lui lança-t-il.

Celui-ci semble amusé de la situation.

_Très bien Renaud, très bien. Vous ai-je déjà dit que vous faisiez du très bon boulot Renaud?

Monsieur Renaud rougit.

Et bien c’est bien le cas Renaud, je suis fier d’être votre supérieur.

_Je vous le laisse Messieurs. Je vous contacterai une fois que je serais rentrée, les interrompis-je.

_Ce ne sera pas nécessaire, me répondit Monsieur Fouine.

_Et pourquoi ça? Lui demandai-je, étonnée de son assurance.

_Vous n’allez pas partir Mademoiselle Demi. Vous allez rester avec nous.

_Vous êtes fous…

Je descendis alors les marches sous le porche et me dirigeai vers ma voiture garée sur les gravillons devant le portail.

_Ils sont là Mademoiselle Demi! Me lança Monsieur Fouine d’un air triomphant. Ils sont venus vous rencontrer.

Devant chez moi, un bus vient de s’arrêter sur la chaussée. Derrière moi, j’entendis des pas sur les gravillons.

_Aux grands escrocs les grands moyens Mademoiselle Demi. Monsieur Ripoux n’y est pas allé de mains mortes. Il a plagié exactement trente deux jeunes écrivains.

Monsieur Fouine s’approche de moi.

_Je vous assure que cela va être une bonne surprise, m’affirma-t-il.

La porte arrière du bus s’ouvrit. A travers les vitres, je voie des personnes se lever de leur siège. Des dizaines de personnes qui atterrissent l’une après l’autre sur le trottoir. Comme un défilé, Monsieur Fouine m’énumère les œuvres dont chacun d’eux est le véritable auteur. Ces hommes et ces femmes dont Ripoux s’était approprié les traits.

_Allez leur ouvrir, me murmura-t-il.

 

C’est comme si on s’était toujours connu. Tous réunis dans mon salon, on ressemble à de vieux amis d’enfance sans nouvelles depuis des années. Monsieur Fouine se tient debout contre le mur, satisfait de ce qu’il vient d’accomplir. La porte d’entrée déjà entrouverte fut alors poussée entièrement et dévoila Monsieur Lechien, les bras encombrés d’un large coffre. Les deux acolytes m’expliquèrent que s’y trouvent tous les cadeaux que j’ai offert à Ripoux. Ce coffre qui me semble si grand, trop grand. Maintenant cela n’a plus vraiment d’importance. Je récupérerai le dernier cadeau plus tard, ça n’est pas le plus urgent.

Je vidai le coffre sur le tapis du salon et un tas de bricoles s’y forma. Je procédai alors à une distribution, remettant à chacun des auteurs ce qui lui revient. Tous me remercièrent chaleureusement et tous se remirent à discuter, le premier fruit de leur travail lové au creux de leur main.

_Où se trouve Monsieur Ripoux? Demandai-je aux deux acolytes.

De façon coordonnée, ils pointèrent du menton la porte d’entrée toujours entrouverte.

_Merci, leur répondis-je tendrement.

 

Monsieur Ripoux est bien assis sous le porche, à regarder le bus. Je descendis calmement les marches et me tint à côté de lui. Il leva les yeux vers moi.

_Tenez, lui dis-je.

Je lui tendis alors le coffre vide dont j’ai vidé le contenu quelques minutes auparavant.

_A vous de le remplir Monsieur Ripoux.»

 

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