Un sac de voyage pour seul bagage

4 avril 2014 10 h 30 min

C’était un jour de mars typique du changement de saison qui se profilait. Lumineux et doux au soleil, sombre et froid à l’ombre. Je ne pris que les quelques affaires de première nécessité pour remplir le sac de voyage que nous prenions comme seul bagage.
Où allais-je ? Qu’allais-je faire ? Les questions tournoyaient sans qu’aucune réponse ne se fasse entendre. Je décidai de les chasser de mon esprit. Arrivée sur le pas de la porte, j’osai pourtant un dernier regard à l’intérieur. Dans quelles circonstances serai-je quand je reviendrai ici ? S’imposa soudain à moi l’idée que c’était peut-être la dernière fois de ma vie que je revoyais ces chambres.
Et la porte claqua dans un bruit que je connaissais bien. Elle était si lourde que le moindre relâchement la faisait se refermer brusquement. Cette porte m’était toujours apparue comme un piège destiné à me faire prisonnière du dehors. Et voilà que ce matin, c’est en entendant ce claquement que je me sentis enfin libre.

La brise glissa ses mains fraîches dans le haut de ma nuque ce qui ne manqua pas de me faire frissonner. Il était temps. Dans un tremblement à peine contenu, une larme glissa sur ma joue. Je l’essuyai vite d’un revers de manche et pris la petite main frêle de Marilou dans la mienne. Une fois posé son petit être d’un mètre à peine sur ma hanche, je me saisis du sac de voyage que je m’empressais de jeter à l’épaule. D’un pas décidé nous avançâmes vers la gare dans un silence connu de nous seules. Autour de nous, le long du boulevard, régnait un vacarme que beaucoup qualifiaient très probablement d’assourdissant, comme je l’avais déjà fait de nombreuses fois, avant. Avant que tout ne change. Avant que toute ma vie ne parte en fumée. Avant que je me mette à détester Paris comme personne. Nous avancions à contre-courant des tailleurs-escarpins et costumes-cravates courant vers les stations de métro. Nos épaules se faisaient violence pour contrer les vagues de voyageurs quotidiens. Le sac tomba à plusieurs reprises de mon épaule mais reprenait chaque fois sa place non sans un certain effort. Marilou ne cessait de jeter des regards ahuris à ces fous qui se pressaient le long des trottoirs bondés. Téléphone greffé à l’oreille ou tête plongée dans le dernier Guillaume Musso, personne ne voyait la femme cachée derrière son foulard tenant dans ses bras une petite fille sans bruit.
Il était 8h, c’était un Mardi, et dans ma tête ne cessait de résonner la musique du vent qui souffle sur l’Atlantique. Il était venu me saisir doucement un matin de janvier, remontant en moi des souvenirs de cerf-volant sur le sable et d’éclats de rire au petit matin dans l’eau glacée. Silencieusement, il était venu m’entourer de ses bras. Je m’endormais avec lui, et au petit matin il était toujours là. Chaque jour un peu plus clairement. Chaque nuit, un peu plus présent. Il s’est installé dans ma vie, détournant mon regard, chassant mes mains du corps de Julien, de Paul ou d’Eliott. Il nous avait menées jusqu’ici, devant le grand panneau d’affichage de la gare montparnasse.
Prêtes à partir. Prêtes à revenir.

quai de gare matin

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8h10. Le train pour St Brieuc s’afficha dans un bruit métallique qui sonna comme un claquement de langue. Voie 10. Je montai les marches d’un pas aussi léger que celui d’une gazelle. Quand Marilou découvrit le grand fauteuil rouge qu’elle avait pour elle seule, elle me lança un grand sourire vite éclipsé par de grands bâillements ensommeillés. Je la pris dans mes bras et bientôt nous étions deux tomber dans les bras de Morphée.
Il fallut qu’un voyageur vienne me secouer un peu violemment l’épaule pour que je m’émerge à temps pour ne pas repartir de la gare de Saint-Brieuc. Marilou tendrement éveillée regardait fascinée le quai et sa population. Posant ma main sur ses épaules, elle se m’offrit son visage ravagé par les larmes ses sanglots qui se perdant dans des soupirs trop grands pour elle. Me voyant enfin éveillée, elle laissa couler à flots ses larmes, et sa colère. Il était plus de 11h, et la faim commençait à me tenailler les intestins. Je ne pus que me douter que les siens criaient famine, et redouter à rebours quel chahut ses pleurs avaient pu provoquer dans le wagon sans je n’en ai entendu quoi que ce soit. Je me félicitai intérieurement d’avoir cédé à la facilité de la couche qui limitait les dégâts… Je rassemblai vite jouets, sac et vareuses, emportant une Marilou hurlante sur la hanche. Toujours la même qui me lança comme un rappel désagréable une pointe de reproches. D’une caresse un peu vive je lui sommai de se calmer. Une gourde de compote me tomba sous la main dans le rassemblement des affaires, et je me dépêchai de lui fourrer dans la bouche, ce qui fit son petit effet.

Sur le quai s’évertuaient les inconnus. Leurs visages m’apparaissaient bien plus frais et joyeux qu’à Paris. Mon regard se perdait dans la foule qui s’amassait sur le quai. Etaient-ils étudiants ou jeunes travailleurs en vacances ? Attendaient-ils un train ou quelqu’un ? Je laissais mon esprit vagabonder à leur imaginer une vie, des soucis quotidiens, un futur. Je me sentai comme une enfant arrivée au pays des rêves. J’y étais arrivée, enfin. L’émotion me fit porter ma main au pendentif en ambre hérité de ma grand-mère. Le serrant dans mes mains, je m’autorisai à fermer les yeux juste un instant pour lui envoyer mes pensées, ma sérénité, la joie qui m’envahissait alors. Elle me l’avait offert alors même qu’elle n’avait plus la force de parler. Depuis toutes ces années, je l’avais gardé précieusement autour du cou, et voilà qu’aujourd’hui je revenais ici. Enfin, je retrouvais ma place.

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