La disparition du tableau

22 avril 2012 16 h 16 min

Lorsqu’elle lui demanda des détails sur la disparition du tableau, le regard bleu de son père
s’assombrit. Jamais elle n’avait pensé que des yeux aussi bleus puissent s’obscurcir à ce point
jusqu’à devenir gris. Que se passait-il pour que son père, d’un si naturel sûr de lui, affiche un tel
désarroi sur son visage ?
Où était ce tableau qui avait cette magie en lui, et qui, secrètement, lui avait toujours servi de
confident ? Elle avait toujours gardé pour elle cette impression d’échange et de compréhension qu’elle ressentait lorsqu’elle s’asseyait près de lui et qu’elle se confiait sur ses sentiments aussi sincèrement qu’elle aurait pu l’écrire dans un journal. Il se peut même qu’enfant, alors qu’elle pleurait toutes les larmes de son corps,  il lui ait répondu, à sa façon. Le souffle de chaleur qui l’avait alors enveloppée est encore aujourd’hui quelque chose qu’elle n’explique pas.
Alors qu’il s’asseyait sur l’une des chaises qui ornaient un couloir désormais triste, il la regarda dans
les yeux et se pinça les lèvres, puis il laissa tomber lourdement ses mains sur ses genoux. Il émit une longue expiration, et laissa aller sa tête de gauche à droite : il n’avait aucune réponse à lui apporter. Il ne savait pas.
Elle prit alors place près de lui, et ensemble ils jetèrent un regard empreint de regret à
l’emplacement désormais vide laissé par le tableau. Ce tableau ne leur appartenait pas, ils le
savaient, alors comment auraient-ils pu justifier une plainte ?
Ils laissèrent alors tous deux vagabonder leur imagination, tout en sachant pertinemment qu’ils
resteraient dans l’ignorance.

Au bout de quelques minutes, alors qu’Elizabeth se levait en entraînant son père à boire un thé chaud
à la cuisine, le tableau lui se réveillait de sa longue léthargie.
Dans la montagne qui surplombait la ville, l’odeur de l’ambroisie qui poussait dans les hauteurs le
rappelait à sa fonction. Enfin, ses divins propriétaires l’avaient retrouvé. Chaque année des centaines
d’objets chutent du Mont Olympe, mais tout de même, pour un objet comme lui, se retrouver
égaré avait de quoi le surprendre. Au fil du temps, il avait presque oublié, attribuant ses divagations à
une quelconque folie. Peu importe, cette misérable escapade dans le monde humain aura au moins
eu la vertu de lui apporter un repos certain. Alors que la végétation se multipliait dans toute sa
magie, sous son nez, il se sentit envahi d’un mélange de fierté et de reconnaissance.
Les secousses provoquées par les missionnaires qui le portaient sur leur dos le berçaient, et c’est
paisiblement que l’âme du tableau s’endormit.
Pour le corps de randonneurs, peu importe le poids de la multitude d’objets qu’ils portaient sur leur
dos, seule la mission comptait. Un ciel lourd et gris menaçait de laisser tomber un poids considérable
de larmes célestes, certainement encore à attribuer à l’éternelle amoureuse Aphrodite. Ils se mirent
à accélérer le pas. Après tout, la mission était certes divine, mais eux n’étaient que de simples
humains. L’humidité commençait à rendre la montée difficile, et la chaussée glissante. Malgré leur
progression impressionnante en quelques minutes, ils ne purent lutter contre le chagrin d’Aphrodite
qui se déversa sur eux. La pluie tombait avec force sur les trois randonneurs.

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