Les jours sages de nos aînés

1 août 2012 8 h 00 min

Il avait aimé la mer. Il avait aimé la sensation d’y flotter et de pouvoir y dériver à l’infini. Il avait même aimé le danger sans cesse présent, toujours aux aguets dans les eaux profondes ou dans les courants puissants. Se laisser porter par l’eau et lui reconnaître les qualités qui font d’elle une force supérieure à l’homme. Se laisser aller à divaguer entre les vagues, à se sentir poisson au milieu de ces espèces sans cesse menacées par son espèce sans qu’elles n’aient jamais fait quoique ce soit pour provoquer les hostilités. Revenir à l’état brut.

Il avait aimé le tiraillement de la peau après que le sel s’y soit incrusté.
Oui, Marc avait aimé l’océan et les mers qu’il avait croisées sur les diverses routes empruntées.

En ce jour de juillet, son regard gris se perd sur l’horizon de la mer du nord. Une casquette d’un vert profond ombrage un visage d’une rondeur bienveillante, illuminé bien souvent par un sourire timide mais toujours sincère. Ses mains rubicondes et abîmées se posent nonchalamment sur ses genoux posés à même le sable.

Ici, à la croisée des époques, Marc se laisse aller à regretter ce sentiment perdu au fil des années. La marée est montante, et cette curiosité de la nature lui donne le sourire. Même aujourd’hui, des centaines de marées derrière lui, le phénomène lui parait toujours aussi magistral. L’eau avance lentement, de manière quasi invisible. Seules les poussées dans les creux sablonneux permettent de le constater, les rivières d’eau salées s’y créant en quelques minutes. Les badauds reculent leurs affaires, et les quelques fossés chargés d’approvisionner en eau les châteaux de sable construits en lieu sûr se voient dépasser par le raz de marée qui s’abat lentement sur eux.

Aujourd’hui, la vue de l’eau et l’air frais propre au bord de mer suffit à son bonheur. Goûter la température de l’eau, et laisser ses pieds s’enfoncer dans les sable ne s’impose plus avec autant d’évidence que dans son enfance.
Il arrive un âge où le regard que l’on pose sur le monde se détache de toutes les frivolités de l’existence. Autour de Marc, se dressent ces témoignages de l’histoire qui l’ont toujours fasciné. Les bâtiments de fortune construits par les allemands pendant la seconde guerre mondiale et qui ont fait tant de dégâts s’ imposent à lui dans un respect silencieux.
 » Rends-toi compte qu’ils ont 70 ans !  » ose-t-il à l’adresse de sa femme.
Marie jette un regard nostalgique sur ces années qui ont défiler sans tambours ni trompettes. La vieillesse a-t-elle été aussi fatale sur son visage que sur ce béton noir ?

Marc, quand à lui, ne peut s’empêcher de regarder ces bâtiments sans sentir un noeud se serrer au fond de sa gorge. Les souvenirs de son enfance sous l’occupation allemande reviennent à lui avec un peu plus de luminosité que les autres jours. Tant de choses vécues, tant d’espoirs perdus, tant de rancœurs nourries. Les souvenirs se mélangent à tous ces livres qui peuplent les tiroirs de sa maison sur cette période difficile de l’histoire française, son histoire. En chacun des visages inconnus, dans ces sourires, ces traits tirés, au travers de ces innocences, et ces regards sévères,  présents sur cette plage vivent ces soldats morts il y a maintenant soixante-dix ans. Des fantômes qui partageront toujours le terrain des vivants.

Il avait aimé l’eau et la sensation de légèreté qu’elle apportait. Oui, Marc avait aimé les choses simples. Mais aujourd’hui, tout n’est plus qu’une question de partage et d’émotions. La vie qui se dessine derrière lui, ces quatre-vingts ans qui se sont écoulés avec toute l’efficacité et la facilité d’un sablier a été bien assez riche. Discuter, partager, apprendre, échanger avec ses proches ou des inconnus, mettre en garde sans cesse contre le mauvais temps ou les mauvaises périodes à venir font partie de son quotidien, et font son plaisir. Après tout, lui n’a plus peur de quoique ce soit, mais ses enfants, ses petits-enfants ne sont pas forts de ses expériences. Les mettre en garde est peut-être la seule force qu’il peut leur transmettre. Qu’ils soient toujours prêts…

C’est alors que la voix enfantine de Louis, son petit-fils s’éleva dans les airs.
 » Dis Papy, ta canne en bois est aussi grande que moi regarde ! Et si, c’était moi qui t’aidait à marcher ? « 

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