A fleur de peau

4 février 2014 13 h 14 min

J’ai le corps en mille morceaux. Dans cet aéroport, les couloirs ne se terminent pas. Chacun débouche immanquablement sur un autre. Je les compte puis je me perds dans mes comptes. Je veux savoir combien de mètres je peux parcourir le corps usé et abîmé. Je compte mes pas. Penser à autre chose, à tout prix. Penser à autre chose et avancer. Coûte que coûte.

Je ne regarde pas ma montre. Je ne veux pas voir d’autre visage que le reflet du mien dans les glaces des couloirs de cet aéroport. Ma présence m’horripile. Mais c’est encore la seule que je supporte un peu. Le reste du monde continue de tourner, comme si rien ne s’était passé. On est peu de choses pour le monde. Un nom et encore. Une voix ou peut-être encore moins que ça, une illusion. On passe. On vit. On meurt. Et quelques fois on survit. Et c’est encore pire.

Mon corps est intact. Aucun coup. Aucune plaie pour que le monde voit ce qui me fait si mal. C’est dans ma tête que tout est démoli. Peut-être à cause de tous ces coups que je me suis infligée. Me cogner la tête contre les murs, pour effacer la souffrance. J’ai crié de désespoir en me frappant la tête contre les murs. J’ai espéré que quelqu’un pourrait entendre. Mais c’est toujours le silence qui m’a fait face. Ce silence m’a fracassée en deux. Ce silence m’a aliénée. Il a fait de moi un animal terrorisé.

La lumière du jour perce à travers les vitres du terminal. La lumière me fait mal aux yeux. Je voudrais pouvoir les fermer, pour quelques heures. Ou pour toujours. Je voudrais pouvoir remonter le temps et ne pas me laisser faire, renvoyer les coups,  pouvoir jouer avec les mots, me battre contre l’oppresseur. On ne remonte pas le temps si facilement. On croit comprendre. Même quand il n’y a rien à comprendre. On se perd en chemin. On avance dans le noir, tel un automate aveugle. On se cogne. On se fait mal. Encore plus mal. Et le pire, c’est qu’on a l’impression d’avancer et d’exister enfin.

La sortie approche. Je redoute la foule. Je redoute les sourires. J’ai peur des visages familiers. J’ai peur des inconnus. Je ne veux pas parler. Je recherche le silence. Je voudrais que les tapis roulants m’aspirent, pour ne pas avoir à croiser les yeux de ceux que j’aime et y lire le chagrin et l’angoisse. Ma valise est là. Elle est lourde. Aussi lourde presque que mon cœur brisé. Elle m’empêche d’avancer. Elle suspend les secondes à sa façon.

Mes chaussures font du bruit sur le sol. Leur écho me fait trembler. Les minutes ne sont plus que des secondes. Je me retrouve seule, face au reste du monde. La pluie frappe sur les carreaux. Les nuages ont chassé le soleil. Je me fais l’effet d’une épave en pleine mer. Je ressens en moi les secousses de l’orage qui gronde au loin. Je me retrouve seule face au néant. Plus rien n’existe. Ni le reste du monde. Ni la personne que je suis.

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