Adélaïde Nongeant

30 mai 2012 20 h 20 min

ADÉLAÏDE NONGEANT


– I – ROUGE SANG

Elle se réveilla, étourdie de son rêve. Mais ce n’était pas un rêve.

Les murs semblaient se resserrer autour d’Adelaïde. La moiteur s’empara de la jeune femme. C’était tellement insoutenable !
Le monde n’avait plus la moindre importance à ses yeux. Qu’il crève ! Que le ciel lui tombe sur la tête !
Adélaïde essaya de descendre du lit avant de tomber, prise de vertiges. Elle voyait des éléphants roses défiler dans sa chambre.
Sa vie n’était qu’un éléphant rose, une promesse non tenue. Adélaïde se rabâchait sans cesse les mêmes sottises.
Elle s’appelait Adélaïde Nongeant, quarante ans à peine, et prostituée de luxe.
Ses longs cheveux roux étaient sa fierté. Elle les entretenait, les bichonnait, et les aimait plus que tout. Tous les hommes savaient qu’Adélaïde Nongeant, dite Adèle, avait de magnifiques cheveux roux lui tombant sur les reins.
Un battement de cils sur ses yeux noirs et tous les mâles se trouvaient à ses pieds. Une seule caresse de sa part et ils revenaient la semaine suivante.

La pluie martelait les vitres dans la nuit noire.
Maladroitement enroulée dans ses couvertures, Adélaïde faisait un étrange cauchemar.

Une odeur de soufre mêlée à celle du sang baignait une pièce sombre. Seule une petite ampoule éclairait une partie des lieux.
Un homme semblait s’atteler minutieusement à la tâche, penché sur un corps inerte. Il s’agissait d’une jeune femme entièrement nue. Il devait faire froid dans la pièce, Adélaïde ressentit un frisson dans le dos. Le sexe de l’inconnue était entièrement épilé. La femme avait des cheveux roux de toute beauté, et un visage de porcelaine. Ses yeux, grands ouverts, étaient marron foncé, presque noirs. Son maquillage légèrement exagéré indiqua à Adélaïde qu’il s’agissait probablement d’une prostituée.
Celle-ci était morte, le corps incisé de la poitrine au pubis. L’homme y avait déjà prélevé les organes génitaux et commençait à nettoyer le sang qui dégoulinait sur la table d’autopsie.
En s’approchant un peu, Adélaïde comprit que la victime avait été égorgée.
Une mare rougeâtre et visqueuse se formait aux pieds de l’homme.

Adélaïde se réveilla en sursaut.
Le visage recouvert de sueur, les cheveux collés à la nuque, le corps tremblant, la jeune femme se demanda un instant si elle avait vraiment rêvé.
Tout paraissait si réel dans ce cauchemar.
Adélaïde s’efforça de se calmer.
Elle alluma. Prostrée sur son lit, le souffle court, elle n’osait plus bouger. Cette femme morte dans son rêve… elle lui ressemblait tellement ! Les descriptions, les odeurs… Tout ceci restait criant de vérité.
Adélaïde eut soudain envie de vomir. Son cœur cognait contre sa poitrine, sa bouche était sèche.
Malgré tout, épuisée, elle se rallongea un peu avant de se rendormir paisiblement.

* * *

Le réveil indiquait dix heures et quart. Le soleil pointait déjà haut et la température de l’appartement avoisinait les trente degrés Celsius.
Adélaïde ne se souvenait apparemment pas de son terrible cauchemar. Il ne s’agissait après tout que d’un mauvais rêve. La jeune femme ne pouvait accorder de crédit à de tels songes. Mais certaines images lui revinrent en mémoire lorsqu’elle se coupa en voulant ramasser un verre cassé.
Le sang qui coulait de la table d’autopsie, la vue des organes disséqués, le thorax grand ouvert sur une espèce de confiture viscérale répugnante…
Adélaïde eut un haut-le-cœur.
Elle devait impérativement cesser d’y penser.
Elle prit une douche glacée puis enfila une petite robe d’été, noua ses cheveux en une queue de cheval avant de partir pour le centre commercial.
Adélaïde Nongeant menait une existence solitaire. Elle louait un appartement au deuxième étage d’un modeste immeuble et avait depuis longtemps quitté sa vie de petite putain de quartier. Certaines nuits, elle devenait Adèle pour le plus grand plaisir de riches clients qui la recevaient chez eux en l’absence de leur épouse.
La jeune femme s’efforçait de ne plus songer à son cauchemar mais s’en sortait lamentablement.
Elle passait à pieds devant le kiosque à journaux pour rejoindre la grande surface quand son regard s’attarda sur un quotidien.
Une prostituée retrouvée égorgée en bas du pont d’or, lut-elle en Une.
Elle avança pour s’acheter le journal avant de se résigner. Non, il faisait un temps splendide et rien ni personne ne viendrait gâcher la journée d’Adélaïde.
Celle-ci reprit sa route pour le centre commercial mais, en dépit des apparences, le cœur n’y était plus tout à fait.
Adélaïde surprit une conversation de vieilles dames à l’angle de la rue. Les deux femmes discutaient précisément du meurtre dont parlait toute la presse.
— La victime est une prostituée, dit la première vieille. Parce qu’on égorge les catins comme des porcs maintenant !
— Sans parler de la mise en scène macabre, renchérit l’autre. Une vraie boucherie, paraît-il.
Adélaïde ne put s’empêcher de repenser à son cauchemar. Il ne devait pourtant s’agir que d’une affreuse coïncidence !
Soudain effarée, la jeune femme tourna les talons pour rentrer chez elle.

* * *

Adélaïde n’avait plus rêvé depuis trois jours, et cette histoire malsaine lui semblait à présent tout à fait stupide. Comment avait-elle pu imaginer que son cauchemar eût un lien quelconque avec un meurtre ? Quelle bêtise !

Ce soir-là, la jeune femme n’avait aucun client à satisfaire, juste une envie d’aller au cinéma toute seule.

Avec son boulot, elle avait adopté un rythme de vie nocturne et parfois, lorsqu’elle ne travaillait pas, les insomnies lui prenaient. Heureusement, il y avait toujours un bon film au petit cinéma de quartier. Elle n’avait qu’à traverser un bout de rue pour goûter au plaisir d’une salle noire presque vide.

Lorsqu’elle redevenait Adélaïde, la jolie femme savourait chaque instant de liberté comme s’il s’agissait du dernier. Elle appréciait ces instants de solitude plus que tout.

Elle sortait du petit cinéma et empruntait un raccourci par une ruelle quand elle sentit comme une présence derrière elle. Au début, elle n’aurait su dire exactement ce que c’était mais au bout de quelques minutes de marche, elle comprit que quelqu’un la suivait.

Soudain nerveuse, elle se retournait sans cesse, redoublant de vitesse, puis se mettant à courir jusqu’à son immeuble. D’un geste incohérent, elle tira son trousseau de clefs de son sac à main avant de le laissa tomber. Mal éclairée par le lampadaire dont l’ampoule clignotait, Adélaïde se baissa à la recherche dudit trousseau. Elle avait la sensation que son cœur allait bondir hors de sa poitrine. La personne qui la suivait se rapprochait, Adélaïde sentait son regard glisser sur elle.

La situation était vraiment intenable.

Adélaïde fit volte-face.

Personne. Il n’y avait absolument personne.

— Ressaisis-toi Adèle… murmura la jeune femme en ramassant son trousseau. Faut que tu te ressaisisses maintenant. Tu es toute seule ici.

Elle enfonça la clef dans la serrure, ouvrit la porte avant de filer jusqu’au deuxième étage et rentrer chez elle.

Les jours qui suivirent, Adélaïde n’osa plus tellement quitter son appartement.

Ce qui s’était produit l’autre soir lui avait fait prendre conscience du danger qu’elle encourait en travaillant la nuit. Et ce corps retrouvé sous le pont d’or… Quelle horreur !

La jeune femme n’avait pu s’empêcher d’acheter le journal. Toute la petite ville parlait de ce meurtre, elle aussi voulait savoir.

La victime était une prostituée de quarante-deux ans, rousse, encore jolie sous son maquillage de poupée mais alcoolique.

La presse avait brossé un portrait peu élogieux de la morte. Adélaïde ne s’arrêta toutefois pas à ce détail. Non, elle remarqua pire. La victime lui ressemblait tellement. Elle en eut des frissons dans le dos.

Le journal vola à la poubelle. Adélaïde devait éviter de lire ce genre de torchons. Le moral n’y était plus vraiment, et elle commençait à se poser des questions.

Pourquoi avait-on assassiné cette femme ? Et le cauchemar qu’Adélaïde avait fait, avait-ce un rapport avec ce meurtre atroce ? Elle aimait à penser que non, mais s’il avérait que oui ? Que se passerait-il ensuite ?

Adélaïde n’osait parler à personne de son mauvais rêve. Et si on la prenait pour une folle ? Si un médecin décidait de l’enfermer pour le reste de ses jours dans une chambre capitonnée ?

La jeune femme en tressaillit.

Non elle ne déraillait pas.

— Non ! s’écria-t-elle.

Il ne s’agissait que d’un cauchemar. Une saloperie de cauchemar, tout simplement. Rien d’autre. Un songe rouge sang.

 

** la suite ici **

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