Conjugaison-Ecrire

29 juillet 2012 7 h 31 min

Elle vient à peine de descendre du tram et d’entrer dans l’appartement que déjà l’ordinateur est allumé. Quelques minutes avant elle était fatiguée, vraiment fatiguée. Mais depuis que cette idée a germé en elle, elle veut écrire. La grand-mère vient et lui demande ce quelle veut manger. Elle la chasse d’un geste de la main. Elle ne veut parler à personne, elle ne veut être là pour personne, sauf pour son ordinateur, son personnage, sauf pour elle. Ecrire, pour elle, est un acte intime, magique, unique, un peu comme la grande première de l’acte charnel. Quelle que soit la raison pour laquelle elle écrit, voir les mots se former sur la feuille, la sentir sous ses doigts, elle ou le clavier, lui apporte un sentiment de plénitude qu’elle ne ressent quasiment nulle part ailleurs. Elle connait le clavier par cœur, sait la place de chaque lettre, de chaque caractère. Soudain voilà que quatre vingt deux touches recréent son alphabet, un alphabet d’écrivain. Elle n’est plus fatigué car elle se nourri de l’énergie que lui apporte l’inspiration qui monte en elle brutalement et n’ importe où de manière soudaine, la consumant de l’intérieur. A cet instant comme à chaque montée d’inspiration, comme à chaque idée nouvelle elle ne pense plus qu’à écrire. Cela s’installe en elle jusqu’à la blesser. C’est le cas à cet instant. Et puis, enfin, elle se trouve face à la page blanche, face à elle-même. Alors elle écrit. Elle écrit jusqu’à en avoir mal aux mains, elle écrit jusqu’à ce que tout aussi brutalement qu’elle est venue l’inspiration retombe au milieu d’une phrase ou d’un chapitre. Son cerveau épuisé par ce débordement de créativité s’est laissé aller à une autre réflexion durant une minute et voila que, tel un soufflet, l’inspiration est retombée. Alors éreintée elle se laisse aller sur le lit. Un peu plus tard elle se relit. Elle découvre son texte comme si c’était celui d’un autre, comme si depuis qu’il était sortit de son cerveau et avait pris contact avec le monde extérieur et l’air libre, il ne lui appartenait plus. Cependant elle modifie, supprime, ajoute. Perpétuellement insatisfaite de ses écrits elle les transforme en permanence et les essort jusqu’à ne plus pouvoir. Parfois quand le courage ne lui manque pas, elle supprime des pages entières. Mais celui lui arrive rarement autant par orgueil que par fainéantise. Elle passe facilement d’un projet à un autre, d’un monde à un autre, d’un personnage à un autre. Sa palanquée de personnage est une immense fratrie dont elle est la mère. Personne ne doit être laissé pour compte, tout le monde à droit à son moment privilégié. La grand-mère revient et ne comprend pas qu’elle puisse écrire autant. Combien de livres encore ? Combien de temps va durer ce cirque ? En écrire un ne t’a pas suffit ? Non. Ecrire est la seule chose pour laquelle elle se considère comme douée, la seule chose dont elle est fière. Et elle refuse qu’on lui enlève, elle refuse d’arrêter. Parfois il s’écoule des semaines, des mois sans que la petite n’écrive rien. Alors la voix dans sa tête la fait culpabiliser et lui met un coup de pied aux fesses pour qu’elle si remette. Les premiers mots sont toujours laborieux, éprouvant, douloureux, épuisant, comme lorsqu’on apprend à marcher ou à faire du vélo. Et puis, comme avec le vélo, l’habitude revient et les touches se mettent à cliqueter de nouveau. La grand-mère ne comprend toujours pas. Mais enfin qu’est-ce que tu as tant à raconter dans tes livres hein ? Qu’est-ce que tu y mets ? D’abord beaucoup de moi. Enfin beaucoup d’elle si vous préférez. De nombreux événements, émotions lui ont appartenu avant de devenir les leurs, ceux de ses enfants de papier, ses personnages. Elle comprend que la grand-mère s’inquiète car l’imagination peut rapidement devenir le pire vice du monde. Elle est là, en vous. Elle vous dévore le cerveau, se cogne contre votre crâne en cherchant un passage vers l’extérieur, une sortie. Et quand enfin elle trouve cet échappatoire, ce la devient comme une drogue. Cela là vide de son énergie, de ses sentiments, de sa vie. Cela la dépossède, la dépouille, la ronge. Mais elle n’a jamais était aussi fière d’elle que la première fois ou elle a écrit « fin » sur la dernière page d’un livre. Elle est fière de cette voie qu’elle a choisie dans ce monde où la célébrité et l’argent sont mères de tout et de tous et où la culture de masse a tout détruit de la vrai culture. Alors elle se lance, elle allume son ordinateur ouvre un nouveau fichier et commence à taper. Les mots apparaissent sur le clavier: « Il se fait tard. La nuit commence à tomber doucement sur Marseille. La ville se teinte de rose, de bleu et de jaune. Elle est assise, comme beaucoup de gens, dans le tramway qui la ramène chez sa grand-mère. Elle se voit dans une vitre… »

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