Elle se réveilla étourdie de son rêve…début de la fin ou fin du début

11 septembre 2012 22 h 16 min

Elle se réveilla, étourdie de son rêve. Oui un rêve, ça n’était qu’un stupide rêve. Pourtant la sensation perdura, cette sensation qui l’étreignait chaque fois que quelque chose clochait avec l’autre. Elle ferma les yeux un instant et tenta d’inspirer calmement mais elle était prise de nausée. Non cette fois-ci la sensation était beaucoup plus violente. Elle se leva les jambes tremblantes, son cœur battant à une vitesse folle et elle traversa le couloir pour entrer dans la chambre en face. Elle s’arrêta net en la voyant la endormit dans son grand lit, parfait reflet d’elle-même. Elle s’approcha et lui caressa la joue. L’autre ouvrit un œil.

« Qu’est-ce que tu as ?

-Rien j’ai fait un rêve débile.

-Encore cette sensation ? »

Elle hocha la tête. L’autre la connaissait bien, c’était un secret qui n’avait de sens que pour elles. Elle se glissa dans le lit à coté de l’autre et se blottit contre elle. Et puis elle s’endormit

Quand elle se réveilla le lendemain la sensation était encore la, cependant elle préféra la taire.  Elles s’avancèrent jusqu’à la salle de bain. Elles se passèrent de l’eau sur le visage, puis contemplèrent leur reflet dans la glace : yeux clairs en amandes, petits nez, bouches rondes, visages en forme de cœur encadrés d’une frange et de longs cheveux noirs de jais. Elles s’habillèrent, enfilant lentement jean noir, haut et escarpins, puis elles se coiffèrent, queues de cheval très hautes et très tirées. Elles se maquillèrent. Tant de gestes quotidiens, tant de fois répétés. Elles bavardèrent gaiement, il n’y avait jamais de silence entre elles. Elles descendirent. Elles entrèrent dans la cuisine nimbée de lumière. Elles savaient qu’elles étaient les dernières à se lever, mais la vue de leurs parents et de leurs frères et sœurs tous assis dans la cuisine et qui les regardaient, les agaçaient toujours un peu.

« Bonjour. »

Elles s’assirent et continuèrent à babiller bercées l’une -l’autre par ce bruit de fond rassurant qu’était leur deux voix mêlées.  Elles se levèrent, déposèrent un baiser sur la joue de chacun. Puis elles empoignèrent leurs sacs, leurs vestes et sortirent. Elles marchèrent vite, les regards appuyés des hommes et leurs commentaires aguicheurs les faisaient sourire. L’attention qu’on leur portait était diluée mais cela ne les dérangeaient pas. Elles marchèrent tout en bavardant et arrivèrent au lycée. Dans les couloirs elles saluèrent leurs amis, racontèrent des anecdotes et autres avant de se rendre en cours. Elles s’assirent l’une à coté de l’autre, comme toujours. Le professeur entra, fit l’appel, leurs deux noms se suivaient. Tant de fois elles s’étaient amusées à échanger leur identités. Elles déjeunèrent comme toujours entourées d’une foule d’amis. Puis elles se séparèrent l’une pour aller en art plastique et l’autre en gym. Quand elle vit sa sœur se diriger vers le gymnase en lui adressant un signe de la main, la sensation revint l’étreindre. Elle ne la quitta plus de l’après-midi. Aussi quand on frappa à la porte de sa salle et qu’on annonça qu’elle devait se rendre en urgence au gymnase, elle ne sursauta pas, elle ne paniqua pas, au fond d’elle, elle savait déjà depuis longtemps que quelques choses clochait. Elle marcha murée dans un silence profond et arriva au moment où les pompiers empoignaient la civière pour embarquer la silhouette si connue. Elle ne voulut pas savoir ce qu’il se passait, elle se contenta de monter dans le camion et de tenir la main de l’autre, cette main dont elle avait elle-même peint les ongles en violet. On arriva à l’hôpital, on lui demanda d’attendre, on prévint ses proches. Ses parents et ses innombrables frères et sœurs arrivèrent les traits tendus. Elle resta impassible quand ils la prirent dans leurs bras, impassible quand ils tentèrent de la rassurer. La sensation était toujours là. Ils lui demandèrent de parler, d’exprimer ses angoisses. Elle refusa, se murant déjà dans un silence qui serait bientôt une seconde nature chez elle. Elle voulait échapper à leur bienveillance.

« – Je vais au toilette »

Elle s’éclipsa et se regarda dans le miroir, sauf qu’elle ne se voyait pas elle mais juste le reflet de l’autre. Et soudain alors qu’elle se fixait avec intensité, une douleur atroce lui déchira la poitrine et le miroir explosa. Ou du moins c’est-ce qu’il lui sembla, de même qu’elle avait l’impression qu’on lui arrachait le cœur. Alors elle comprit, elle comprit tout, elle sut qu’on l’avait de force arrachée à l’autre, qu’elle n’était plus deux mais qu’elle était une, chose qui pour elle ne voulait rien dire. Elle sortit de la salle et marcha vite jusqu’à ses parents. Ce qu’elle savait déjà se transforma en évidence quand elle les trouva sanglotant. Son père lui attrapa le coude, voulut lui parler. Elle l’en empêcha d’un geste rageur, violent et plein de dégoût :

« – Ne dites rien. Surtout, surtout ne dites rien »

Ensuite le médecin vint expliquer, il parla doucement avec des mots simples. Elle entendit

« Rupture d’anévrisme. », « mort cérébrale », « fréquent chez les jumeaux prématurés. », « une chance sur deux que ce soit elle et pas l’autre ». Elle aurait tant voulu que se soit elle et pas l’autre, elle aurait tout donné pour ça. Elle fut la première autorisée à entrer dans la chambre, l’autre était allongée sur le lit encore maquillée, ses cheveux noirs étalés sur l’oreiller blanc, ses ongles toujours peints en violet, sa poitrine se soulevant en rythme des machines. On aurait dit qu’elle dormait. D’ailleurs c’était ça elle dormait, elle allait ouvrir les yeux d’une minute à l’autre et éclater de rire en la traitant de cruche pour s’être faite bernée de la sorte. Il ne pouvait pas en être autrement, elle ne pouvait tout simplement pas être morte. Elle attendit. Mais il ne se passa rien. Alors elle lui caressa la joue pour la réveiller comme la nuit précédente. Rien ne se produisit. Elle la secoua un peu, puis de plus en plus fort sans que l’autre ne se réveille ou n’ouvre les yeux. Alors elle grimpa sur le lit, se blottit contre le corps tiède de sa sœur et pleura laissant son univers s’effondrer et la douleur qu’elle ressentait la happer dans un abîme noir et silencieux.

 

Elle se réveilla, étourdie de son rêve. Mais ce n’était pas un rêve.

C’était sa réalité. Une réalité trop dure, trop violente, trop forte pour elle. Comme tous les matins elle avait ouvert les yeux en espérant avoir imaginé tout ça et comme tout les matins la douleur revenait lui coller à la peau accompagnée de ses compagnons d’armes: chagrin et silence. Elle aurait donné sa vie pour entendre encore une fois la voix de sa sœur, pour passer encore une journée avec elle. Mais sa sœur n’était plus la, elle n’était plus deux, elle était une, un morceau de quelque chose qui n’avait plus de sens sans son autre partie. Sa sœur était morte et la plus belle partie de son cœur avec elle. Alors elle se leva…

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