Judith

8 mai 2012 13 h 29 min

Elle était là, dans un coin, recroquevillée. La lumière était blanche, un blanc à vous faire détourner les yeux, un blanc trop soutenu, trop pur, trop présent. Elle ne bougeait pas depuis plusieurs jours, refusait toute intrusion étrangère, hurlait quand quelqu’un franchissait le seuil de sa chambre. Tout juste parvenait on  à lui glisser un plateau repas, auquel elle touchait parcimonieusement. Elle savait qu’il fallait qu’elle mange sinon on recommencerait à l’attacher comme un animal enragé, elle refusait  qu’on lui introduise cette aiguille sous la peau pour alimenter son corps.

Elle se berçait dans un coin de la pièce, prenant le moins d’espace possible, toujours dans la même position avec cette même musique en tête.

Elle pleurait tantôt en silence, tantôt avec un cri déchirant, un cri qui devait venir d’ailleurs, de cette douleur qui la rongeait, un cri que nulle ne pouvait décrire.

Les médecins ne savaient plus quoi faire de cette patiente, un signe de guérison et l’instant d’après, elle basculait dans son monde, dans ses larmes, dans sa douleur. Une instabilité rare.

Tout le monde avait émis son hypothèse mais personne n’avait jamais su la cerner, elle ne se confiait pas, donnait l’impression de peser chaque mot qu’elle prononçait, comme pour ne pas risquer de trop en dévoiler.

Elle intriguait, elle était connue dans tout l’hôpital, certains la disaient sorcière, d’autres pensaient qu’elle n’était pas humaine, ce cri ne pouvait pas être humain, c’était celui d’un animal traqué.

Personne n’avait compris ce qu’elle avait, le voulait on vraiment finalement?

N’est-il pas plus facile de laisser les fous comme ils disent à l’abri, de ne pas chercher à les faire sortir. C’était le message qu’on leur avait fait passer, surtout il fallait purger la société, ne plus garder que des gens équilibrés, qui ne réfléchissaient surtout pas trop, se contentant de suivre le mouvement, des moutons qu’il suffisait d’alimenter en argent et en divertissements avilissants. Les autres devaient être mis à l’écart, on revenait à des pratiques ancestrales mais qui avaient fait leurs preuves, parait-il. Aseptiser pour que tout soit plus facile, pour donner l’impression que tout va bien, pour être homogène surtout et ne jamais tenter d’aller plus loin, faire taire l’original.

Les fous… C’était un mot que Marie exécrait par-dessous tout, tant il ne voulait rien dire pour elle. La folie était familière, elle était là, derrière la porte, en veille permanente. Elle était le gouffre près duquel chacun avançait, sans le voir le plus souvent. Parfois, on était pris d’un frisson comme si le pied avait dérapé légèrement, juste pour faire peur, juste pour vous rappeler que la chute était là, juste à côté. Un coup de vent et hop !

Elle avait commencé à travailler dans cet hôpital depuis quelques mois seulement. Elle avait débuté le jour de l’arrivée de celle que tout le monde surnommait « l’inconnue », comme pour la déshumaniser. Elle avait un nom pourtant cette inconnue… Judith.

 Marie avait demandé à être celle qui lui apporterait ces repas et qui tenterait d’établir le contact. Ce n’était pas son rôle lui avait on rappeler mais tout le monde était indifférent maintenant au sort de Judith, on avait tout essayé mais elle était incurable selon eux. Alors il laissait Marie faire.

Elles devaient avoir le même âge et Marie était troublée, tellement troublée par cette détresse palpable, par ce mal si profond et intense, elle avait l’impression de porter le poids de Judith sur ces épaules, comme un transfert.

Aujourd’hui, elle allait tenter quelque chose, elle était libre maintenant de s’occuper de Judith à sa façon. Elle frappa à la porte, ce qui n’était pas coutumier dans cet établissement, où l’on estimait que c’était une révérence inutile. Judith se replia davantage dans son coin. Marie posa le plateau près d’elle et avança de quelques pas. Elle sentait Judith se tendre, sa respiration s’accélérer.

Marie déroula l’affiche qu’elle avait dans la main, prit la gomme fixe qu’elle avait dans sa poche et accrocha au mur ce tableau. Elle se retourna, regarda Judith un long moment. Elle voyait bien que cette dernière était intriguée, luttait pour ne pas ouvrir les yeux, pour ne pas regarder ce qu’il se passait dans sa chambre. Marie sortit sans bruit. Elle resta derrière la porte, à regarder l’intérieur de la chambre par une vitre sans teint.

Judith s’était levée, doucement, en silence. Elle s’approchait de l’affiche à pas feutrés. C’était au tour de Marie d’avoir le souffle coupé, elle n’avait qu’une crainte : qu’elle arrache l’affiche et hurle. Mais Judith colla son visage sur le tableau, s’éloigna brusquement et repartit dans son coin, dans une position un peu différente cependant, une position qui lui permettait de le voir, ce tableau. Elle tira le plateau à elle et mangea sans quitter le tableau des yeux. Elle était tellement absorbée par l’affiche qu’elle ne se rendit pas compte qu’elle mangeait toute son assiette, qu’elle allait tout avaler.

Marie s’éloigna et sourit. C’était un pas, le chemin était encore long mais c’était un pas, elle en était certaine.

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