Les maux d’Emma

14 mai 2012 19 h 21 min

La feuille se trouvait devant elle, chiffonnée. Elle l’avait trouvée par hasard en faisant du tri dans ses affaires le matin même. Celle-ci s’invitait dans sa journée de travail telle une vieille amie perdue et retrouvée, une amie adorée un jour puis détestée le lendemain, une amie qui aimait la mettre en face de ses propres incertitudes, la pousser dans ses retranchements. Emma ne savait pas, la défroisser ou la laisser là, offerte a tous, libre.

Peut-être valait-il mieux ne pas tenter le diable. Il pouvait être redoutable si on s’en approchait de trop près. Emma décida de la mettre de côté pour le moment, de se concentrer sur sa tâche et d’y retourner ultérieurement. Ou pas. Elle verrait bien. Peut-être qu’elle aurait le courage le moment venu.

Elle s’activa, ne laissant pas une minute à ses pensées pour se perdre. Elle se concentra sur le tableau Excel, les chiffres à rentrer, les valeurs à transformer, les graphs à intégrer. Elle était bien ici, son travail lui convenait. Rien de fabuleux, juste l’impression qu’elle servait à quelque chose, qu’elle ne perdait pas son temps dans des rêves irréels. Le feuille lui faisait de l’œil dans le coin a gauche, mais elle repoussait le moment où il lui faudrait décider. Cette feuille lui faisait l’effet d’une bombe prête à chambouler sa vie, encore une fois.

Elle se souvint des premiers mots posés, mis bout a bout, des phrases formées, des idées nouvelles, des rires que ces mots mêlés gêneraient, de son enthousiasme exubérant. Elle se souvint des tentatives désespérées d’offrir ces phrases à d’autres, la peur des critiques ou d’un ressenti plat, d’émotions mal décrites, d’images qui ne parlaient pas. Elle se souvint des premières larmes, des rayures, des  mots sans sens, des feuilles déchirées, de son incapacité à accepter ses faiblesses, de sa vulnérabilité face a un rêve qui perdait de l’altitude, un rêve qui devenait son pire cauchemar quand ses doigts s’escrimaient à trouver les bonnes lettres sur son clavier, quand sa plume restait figée sur le papier blanc, ne la laissant qu’avec des bribes d’espoir déçus.
Elle se souvint qu’elle avait fini par baisser les bras parce que çà ne servait a rien. Certains avaient ce talent. Elle pas. Elle pouvait essayer, les mots la fuyaient. Elle se souvint qu’elle avait postuler pour ce poste peu de temps après, qu’elle s’était fondue dans la masse des travailleurs mondains, qu’elle avait peu a peu oublié que les mots ont un pouvoir bien à eux, qu’ils sont plus forts que des e-mails bâclés, des comptes-rendus de réunions formatés, des lettres-types qu’on envoie à tout va.

Le mots se rappelaient à elle, à leur manière. Ils étaient là sur cette feuille chiffonnée. Ils voulaient lui dire quelque chose mais elle ne voulait pas entendre. Elle préférait continuer sa vie. Bien qu’un peu triste elle était sereine et nullement prête à revivre ces sautes d’humeurs, ces nuits d’insomnie. Elle craignait une rechute si elle dépliait le papier.

Elle hésita longtemps avant de quitter le bureau ce jour là, la laissa sur sa table au final, se disant que la nuit porte conseil. Peut-être que demain elle y verra plus clair. Peut-être que demain elle reprendra les rênes des son destin. Pourquoi pas.

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