A l’envers, à revers (Manon&Raphaël #1)

22 août 2012 20 h 16 min

C’est une fin de nuit, ou un début de jour, ou peut-être les deux mêlés parce que j’ai trop bu. Je ne sais pas où sont partis les autres, on dirait qu’on les a éclipsés en silence. Il ne reste que lui, moi, et une lampe de chevet qui éclaire autant qu’une veilleuse d’enfant. Qui projette des formes animées sur le plafond et m’hypnotise. Je devrais être ailleurs, je n’y suis pas, je suis là et il y avait quoi dans mon dernier verre ?

– Manon ?

Je lève les yeux sur lui.

– Je t’aime en rail de coke sur un cd rayé.

Raphaël me balance ça avec des yeux brillants et sincères, suffisamment vitreux pour que je me vois dedans. Je voudrais ne pas sourire. Je voudrais les trouver vulgaires, lui et son cd. Lui et ses yeux qui ne se posent plus nulle part. Il me parle, il me cherche, s’il se tait je pourrais peut-être le trouver narcissique. Ses yeux brillent, il dit des trucs qui n’ont pas de sens, sa voix vacille et je le trouve juste carrément sexy. Je me demande vaguement si c’est un bon ou un mauvais signe, d’être la drogue de quelqu’un. Je me demande pas si j’ai envie de l’être.

– C’est bon signe tu crois ?

Il attrape maladroitement la bouteille de whisky, se serre un verre parce que je suis là, sinon il boirait au goulot. Ma mère serait choquée, mais moi l’attention me touche. Il le vide d’un trait, et me fixe. Longtemps.
– Ca dépend… Je suis étrange quand tu me manques. Mais quand tu es là, tu décuples tout le reste. Tu ne donnes pas seulement un sens à ma vie, tu es le prisme à travers lequel je contemple le monde. Tout est plus beau quand ça passe par toi avant… Tu vois ?

Il a dit ça presque sans respirer, avec la voix assurée et chantante des gens désinhibés. Il fait défiler ses idées, doucement, les mots tombent comme des certitudes. Il joue à m’aimer. Ou il m’aime à en jouer. Tout tourne et devient flou, et je sais que c’est trop tard. Mes jeux sont faits, mes barrières fêlées. Il enroule une mèche de mes cheveux autour de ses doigts.
Son coeur m’a prise de court, son corps m’a prise tout court. Reste ses yeux. Comme deux pantins qui me renvoient ses sentiments, décuplés à chaque mouvement.

– Manon ?

Je souris pour avoir l’air calme, alors que tout à l’intérieur de moi vient de s’effondrer dans un amas de verre brisé sur du coton mouillé. Les bouts tranchants me piquent, ça fait des papillons qui butinent dans mon ventre.

– Manon, ça va ?

Je lui souris. Satisfait, il attrape un autre cd et dit :
– On s’en fait un autre pour s’aimer toutes les nuits ?

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