Espoir fourvoyé

15 juin 2012 7 h 53 min

Comment Paul en était-il arrivé là ? Il ne savait pas, il ne savait plus. La seule chose qui résonnait en lui était le sentiment d’isolement et d’égarement. Entouré d’amis, de sa famille, il demeurait toujours si éloigné d’eux, à l’abri de  sa tour de solitude à laquelle personne n’avait accès. Il tentait pourtant de ne pas perdre pied, ne garder le lien avec ces êtres qui se sentaient si bien, si forts, si ancrés dans leur vie. Eux avaient trouvé le sens de vivre, de respirer, et d’avancer. Lui était resté au bord de la route. Les rires ne l’atteignaient pas, le goût n’avait plus aucun intérêt, le plaisir lui était devenu étranger.
Ce matin, Paul avait décidé de prendre les choses en main, en se glissant sur le siège conducteur de sa voiture, et en saisissant le volant de ses mains massives et fortes noircies par le métal de l’usine. Il espérait que le souvenir du plaisir de la conduite et de la vitesse se rappellerait enfin à lui.
Où il allait : il ne savait pas. Tout ce qui comptait, c’était le moment présent, et peut-être cette connexion à laquelle il n’osait croire mais qui lui rappellerait peut-être ce que c’était la vie.
La route défilait sous yeux, les champs se succédaient, les signaux de ralentissement aussi. La frustration montait en lui, brouillait sa vue, et ensanglantait sa bouche. Au fil des kilomètres, une grimace de douleur crispait son visage, durcissant encore davantage ses traits. De légères gouttes de transpiration perlaient sur son crâne rasé, et coulaient de ses tempes. Sa large bouche était déformée, sa lèvre inférieure avait disparu, il la mordait d’une rage incontrôlable. Ses gestes que l’on pourraient pendre pour des manies devenaient de plus en plus frénétiques.

Rien ne marchait comme prévu, rien ne lui permettrait de goûter un jour aux joies simples de la vie. Il ne savait pas comment attraper au vol ces plaisirs simples que les autres semblaient si bien saisir. Quel est l’intérêt de la vie, si c’est pour souffrir ainsi sans que personne n’en sois témoin. Ses poings se cognèrent violemment sur le volant, ce qui le fît rebondir sur son siège. Personne ne voyait, personne ne comprenait. Il n’était qu’une souffrance qu’il infligeait à ses proches. Mieux valait qu’il en finisse, qu’il les laisse libres de vivre leur vie. Il fallait leur laisser une chance de suivre leur voix. Il ne voulait pas les amputer d’une part de bonheur en leur imposant sa présence, son aura qu’ils fuyaient tous avec plus ou moins de courage.
Une ligne droite se présentait devant lui sous la forme d’une cuvette. Elle était si longue qu’elle devait faire un kilomètre.
Il pourrait, maintenant, s’il le voulait, s’il en avait le courage.
Il pourrait lâcher le volant, et laisser le destin choisir pour lui.
Il pourrait, s’il était courageux.
Mais il ne l’était pas, il ne l’avait jamais été.
Et il ferma les yeux.

Ceci est un extrait d’une nouvelle de plusieurs pages. 

 

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