La littérature afro-américaine : 3 auteurs pour s’y initier

1 septembre 2013 8 h 50 min

A l’occasion de la rentrée littéraire et de la Marche de Washington (tiens, si tu dormais sous un rocher ce week-end, c’est cadeau), je me suis dit qu’il serait intéressant de faire un tour d’horizon de la littérature afro-américaine. Aujourd’hui, nous allons voir que la littérature afro-américaine n’est pas qu’une question de couleur et ce qu’il se cache derrière. Mais d’abord, abattons les idées reçues !

La Littérature Afro-américaine : Raconter. Restituer. Dénoncer.

Souvent, cette littérature est résumée – d’une manière réductrice – à une « littérature sur et pour les Noirs« , du fait de ses thèmes récurrents sur la communauté noire et les enjeux socio-historiques. En effet,  la culture afro-américaine s’encre dans un communautarisme propre aux USA (et ce, pour plusieurs communautés), mais il faut comprendre que ce genre littéraire a été l’un des objets de luttes durant la ségrégation raciale et les rassemblements de Martin Luther King, soit la revendication d’une Histoire qui ne soit pas tronquée en faveur d’une Amérique racontée par les Blancs.

Déracinement, misère, injustice, mais aussi Martin Luther King, Malcom X, Rosa Parks et Black Panters… Raconter, c’est donc compléter l’histoire écrite par une Amérique blanche et riche ou de classe moyenne pour y donner de la voix à une Amérique noire et miséreuse. Une binarité qui se dilue entre l’origine et ses résidus, entre couleur de peau et incompréhension, entre stigmates et rencontres, entre métissage et rejet. Par conséquent, cette binarité appelle à la fois à une revalorisation d’un folklore afro-américain en réponse à un déracinement encore vif (comme en témoigne des oeuvres comme Racines, voir plus bas) et nous apprend qu’il existe, non pas, UNE communauté noire mais DES communautés noires. Antillaises, africaines, afro-américaines, afro-indiennes… L’angle de vue est pluriel et vise à ouvrir les esprits.

Aussi, le plus délectable de cette littérature, comme toute littérature historique, est la restitution d’une époque et d’un folklore. On connaît la dinde de Thanksgiving, mais connaissons-nous la cuisine du Sud (à part le poulet fris) ? Connaissons-nous ces petits patelins des familles noires qui ne vivaient que de leurs potagers ? La littérature afro-américaine, c’est donc se plonger dans une époque souvent peu illustrée, mais également d’y rencontrer des teintes plus amères, les teintes du blues : un relent d’amertume et de mélancolie, qui débouche sur un espoir vierge mais souvent factice d’une association sociale et désirée.

Si vous avez bien lu, vous conclurez certainement « bah, dans sa démarche historique, ce n’est pas si différent d’autre littérature ? », comme la littérature de la Shoah. Et vous avez raison. Donc, tout le monde peut la lire, non ?

 

Trois auteurs pour s’y initier : Morrison, Walker et Haley.

TONI MORRISON

On commence avec un Prix Pulitzer et Prix Nobel, bref du lourd. Un pilier de la littérature afro-américaine, l’afro-américaine Toni Morrison. Je l’ai découverte avec son dernier  roman, Home publié en 2012, qui, même s’il s’avérait un peu en-dessous des autres, m’a fait goûté à ce style incisif, à la fois amer et poétique. Toni Morrisson, c’est se délaisser d’une lecture confortable pour vous mettre mal à l’aise dans la description valorisante du laid et de la violence; une réalité difficile tant elle se centre sur la place de l’origine et de la couleur au sein d’une communauté : la couleur noire allie et divise, elle marque la misère mais aussi le combat. L’auteur s’attarde également sur le statut et la place de la femme noire, nous évoquant toutes ces mères, ces femmes de l’église, ces prostituées, ces femmes mariées, ces femmes ayant réussies… mais jamais dans l’apitoiement ou l’éloge, toujours dans la justesse et la lucidité tranchante.

Je vous recommande L’oeil le plus bleu qui est le premier roman de l’auteur, soit l’histoire d’une petite fille laide qui rêve d’avoir les yeux bleus, qui songe que sa vie serait tellement plus facile, plus douce si elle avait eu ces yeux de poupées… Ces mêmes yeux auraient-ils empêché son père de la violer, peut-être ? Le ton est posé. Une lecture sombre et épurée qui pose les bases d’une littérature afro-américaine avec la restitution d’une atmosphère blues, entre problème d’identité, statut de la femme et misère sociale.

Si vous aspirez à une entrée en matière plus douce dans le monde de Morrison, tournez-vous vers le subtil Tar Baby. On passe du rire à la confusion, de l’insouciance à la prise de conscience. Dans celui-ci, elle aborde d’ailleurs ce rapport ambivalent entre antilles et amérique noire dans une histoire d’amour passionnée d’un couple en proie à leurs différences de rangs sociaux, et de perception du monde : d’un côté, le vagabond noir qui se nourrit de ses convictions,de l’autre une antillaise à l’éducation prisée qui se perd dans ses idées reçues, le tout sous les yeux d’un couple d’hôteliers Blancs qui voient en l’arrivée du vagabond, une menace imminente. Mise en miroirs qui brise tabous et clichés, malgré une fin déstabilisante.

ALICE WALKER

Auteur du livre adapté Couleur Pourpre (réalisé par Steven Speilberg. Si vous ne l’avez pas vu, trouvez-le)(c’est mon film préféré)(d’accord, j’arrête les parenthèses), Alice Walker a une plume poétique qui raconte l’amour, la peine, le désarroi et la souffrance avec justesse, sans chichis et sans phrases mille fois retournées. Je n’ai lu pour l’instant que The Way Forward is with a Broken Heart, j’ignore s’il existe en français, mais la lecture est très accessible et prenante pour ceux qui voudraient tenter la V.O.

Dans cet ouvrage, elle nous parle de sa vie commune avec l’amour de sa vie mais aussi l’origine de ses incertitudes : cet homme est blanc, et si elle réussit à nous décrire la beauté d’un couple métisse dans un Mississipi foncièrement raciste dans les années 60, elle y expose à nue comment la passion a cédé à la pression sociale, qu’il s’agisse de la sphère familiale ou professionnelle. Ou comment savourer un livre qui crie, hurle et transpire « je n’aime pas une couleur, je n’aime que toi ». Un bel exemple prouvant que ce genre littéraire appelle au partage et à être lu par tous. Toutefois, peut-être certains seront-ils rebuté par la narration un peu « journal intime », à voir donc.

 

ALEX HALEY

On rentre dans le culte du genre, dont la saga télévisée passait sur M6 et a fêté ses 70 ans, un téléfilm visionné en classes tant la restitution historique est saisissante, j’ai nommé : Racines.

Racines est l’histoire romancée de toute la descendance d’Alex Haley. Pendant plus de dix ans, l’auteur a cherché à reconstituer son arbre généalogique – du côté maternel – jusqu’à son ancêtre déporté durant l’esclavage, Kunta Kinte. On traverse le temps au fil des générations, de l’esclavage aux années 70, suivant les drames qui vont déchirer, mais aussi soudé cette famille à travers la mémoire d’un homme venu d’Afrique.

Pour des raisons personnelles, je ne me suis pas encore lancée dans le livre :  j’ai été bercée par la saga télévisée mais j’attends le bon moment pour le lire, je n’ai donc pas d’avis sur l’oeuvre littéraire même. Si vous êtes un peu frileux, je vous conseille donc de vous tourner vers la saga télé éponyme. L’oeuvre a tant marqué les communautés noires, qu’elle est diffusée également en Europe comme en Afrique, c’est une pièce maîtresse de la littérature afro-américaine malgré les accusations de plagiat dont elle a fait l’objet (et oui, tout n’est pas parfait).

Un peu moins connu, mais tout aussi intéressant, Queen suit la même trajectoire du côté paternel, avec comme personnage centrale l’arrière-arrière-arrière-grand-mère d’Haley qui née métisse dans une plantation. On suivra alors comment la jeune femme tentera de trouver sa place alors qu’elle est rejetée par les Noirs, comme par les Blancs. Il existe également un téléfilm avec Halle Berry, mais cette fois je vous conseille davantage le livre.

 

Parce que le monde n’est pas tout noir ou tout blanc, j’espère que cette petite liste vous donnera envie de découvrir un genre émouvant qui, malgré la dureté qui y prédomine, saura vous faire un peu rêver, penser et aimer.

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