Le massacre d’Orgueil et Préjugés

26 août 2012 12 h 48 min

Orgueil et Préjugés est une oeuvre littéraire de Jane Austen, connue de tous, grâce aux cours de Français… ou pas. Peut-être même que certains d’entre vous ont gardé des mauvais souvenirs d’avoir été obligés de lire ce pavé de romance et de phrases délicates pour leur baccalauréat…
Ce roman écrit au début des années 1800, situe les péripéties de la famille Bennet, et plus particulièrement d’Elizabeth, dans l’Angleterre de la fin  du XVIIIème siècle. C’est un des classiques de la littérature qui traverse sans mal tous les siècles et les générations, par ses rééditions, ou ses adaptations cinématographiques.

Qui aurait pensé un jour, parmi toutes les admiratrices de l’écrivain ou d’Elizabeth Bennet, que cette oeuvre de référence fasse l’objet d’un massacre en règle. Que dis-je massacre ? Devrais-je dire qu’il a été doublement massacré ! Une exécution en règle, et Jane Austen doit se retourner dans sa tombe en sentant son écriture si belle torturée ainsi… J’exagère ? Peut-être un peu. Mais il est impossible que les amoureux des lettres soient insensibles aux nouvelles qui vont suivre.

Fin juillet, les Inrocks et le Courrier International dévoilaient deux éditions qui s’annoncent comme des oeuvres littéraires remises au goût du jour.

 

Un Orgueil et Préjugés érotique

Il s’agit bien ici de transformer une oeuvre littéraire du XVIIIème siècle en un livre érotique. L’oeuvre en elle-même ne bouge pas d’un millimètre. Les éditions britanniques Total E-Bound ont décidé de pimenter un peu la langue chaste de Jane Austen en y ajoutant quelques passages gentiment coquins. Il est clair qu’ils espèrent attirer une nouvelle clientèle, et démocratiser des pavés de littérature que certains peuvent considérer comme inaccessibles. Sans compter que la littérature érotique connaîtrait un nouvel essor avec l’apparition des liseuses. Plus besoin d’utiliser une fausse couverture pour cacher le titre sulfureux de son livre lorsque l’on est entouré…

Extrait :
« Elisabeth avait grande envie d’observer que M. Bingley avait été un ami tout à fait charmant et que sa docilité à se laisser guider rendait inestimable ; mais elle se contint. Elle se rappela que M. Darcy n’était pas encore habitué à ce qu’on le plaisantât, et il était encore un peu tôt pour commencer.
 Tout en continuant à parler du bonheur de Bingley, qui, naturellement, ne pouvait être inférieur qu’au sien, il poursuivit la conversation pendant un moment.
— Après s’être assuré qu’ils ne seraient pas interrompus par les deux fiancés, il se tourna vers Elizabeth :

« Puisque nous sommes désormais, me semble-t-il, parfaitement seuls, me feriez-vous l’immense honneur de m’offrir vos lèvres ? » Elizabeth ne fit aucune objection. Elle-même attendait ce moment depuis longtemps et, d’un signe de tête, elle lui manifesta vivement son assentiment, sa belle éloquence évanouie.

Posant la main sur son bras, M. Darcy se pencha doucement vers elle, les yeux ardemment fixés sur sa bouche.

« Vous ne pouvez savoir, vous pouvez à peine imaginer combien j’ai attendu ce moment, lui dit-il. La fièvre de votre baiser m’a souvent tenu éveillé tard dans la nuit et jusqu’aux premières lueurs de l’aube je formais le désir ardent de me laisser envelopper par ce feu et sentir votre aimable et douce anatomie ployer de plaisir sous mes étreintes. » —

Jane Austen n’a pas été la seule auteur à subir ces adaptations : on peut retrouver également Emily Brontë et son oeuvre Les Hauts de Hurlevent, ou Arthur Conan-Doyle et ses héros de papier Sherlock Holmes et Watson
Mais tout de même, cela me laisse totalement perplexe. N’utilise-t-on pas ici le fait que ces oeuvres soient tombées dans le domaine public pour se les approprier en dénigrant leur valeur ? Les éditeurs sont-ils prêts à tout pour doper leurs ventes ? Le commerce de l’art m’écoeure…

Pride and Prejudice de Jane Austen et Amy Armstrong (Total E-bound), 4$36 en format numérique (ici)
– Il ne semble pas que le roman ait été traduit en français – 

pride and prejudice

src/ total-e-bound.com

Et ce n’est pas tout !

Orgueil et Préjugés chez les Zombies

Nous sommes actuellement dans un boom commercial concernant le phénomène zombie. On les voit en jeux vidéos, en film, en série, etc.
Rappelons qu’il s’agit à l’origine d’un être, si on peut le nommer comme tel, issu de la mythologie vaudou… Seth Grahame-Smith, un américain, s’associe donc à Jane Austen (le livre étant signé des deux auteurs), pour insérer dans les aventures d’Elizabeth Bennet, des batailles de zombies. Imaginons qu’en 1813, l’Angleterre soit attaquée par ces bêtes sans nom, ni forme : Elizabeth Bennet et M. Darcy auraient bien été obligés de se munir de haches pour défendre leurs vies, et leur amour… Finis les échanges de paroles piquantes pendant les danses de bal. Dans cet adaptation littéraire, cela se transforme inévitablement en combat à mains nues. Elizabeth Bennet est en effet diplômée de Shaolin !
Notons que le livre original fait plus de 500 pages, alors que cette adaptation n’en fait que 316… A transformer, ajouter, n’y aurait-il pas également eu des coupes dans le manuscrit de Jane Austen ?
Il faut prendre cette idée au second degré évidemment, mais tout de même, c’est effrayant !
Orgueil et Préjugés n’est pas un simple roman : c’est une référence littéraire…

Orgueil et préjugés et zombies en BD, de Tony Lee et Cliff Richards (Casterman), 176 pages, 16 €

Orgueil et préjugés et zombies de Jane Austen et Seth Grahame-Smith (Flammarion), traduit de l’anglais (USA) par Laurent Bury, 316 pages, 17,30 €

orgueil prejuges zombies

Jane Austen, Paix à ton âme !

Vous en parlez

  • En voyant ces bouquins en librairie, j’ai été scandalisée, au bord de l’étouffement… Comme cet auteur qui vient de publier une « suite » à Orgueil et Préjugés… je trouve que c’est d’une prétention incroyable! Mais peut-être est-ce bon, en tout cas je trouve que c’est un vrai sacrilège, je suis assez puriste pour certaines choses, surtout quand ça concerne ce genre de perle littéraire, c’est une référence comme tu dis, et c’est vraiment fou qu’on accepte de publier ce genre de roman, en même temps c’est terrible à dire mais quoi de plus génial pour un éditeur ?! Ils savent que les puristes vont sans doute les acheter pour les critiquer violemment, et les amoureux de Jane Austen les acèteront car ils ont un goût de trop peu, avec ses 6 romans… Malin… (mais en tant que puriste, hors de question que je mette le nez dans ces bouquins!!!)

  • Hello,
    Alors autant je trouve scandaleux la version érotique, autant celle des zombies est vraiment pas mal.
    Je l’ai lu par curiosité, vu qu’ils songent à l’adapter en film. L’adaptation est faite de manière assez intelligente. Il se sert des personnages et de la trame principale pour créer son propre récit. C’est, en plus, assez agréable à lire.
    Par contre, je ne sais pas si tu as vu les extraits sur le net de la version érotique… C’est pire que du Harlequin. Et là Jane Austen doit se retourner dans sa tombe !

    • Pour la version érotique, j’en avais mis un de côté que j’ai oublié d’insérer dans l’article… Merci, tu me l’as rappelé.

      Pour la version zombie, je n’arriverai vraiment pas à la lire. Je ne suis pas sensible à ce genre de littérature, et puis Jane Austen, quoi !

      Mais si certains admirateurs trouvent çà pas mal, tant mieux après tout. C’est peut être à différencier… moi j’y arrive pas 😉

  • Bon, ça vaut ce que ça vaut, mais certains ont posé la question à une grande spécialiste de Jane Austen à propos de ce remake zombie et, selon elle, Jane Austen aurait plutôt adoré l’idée.
    Après tout, il lui arrivait aussi de faire de la parodie, de l’humour et du pastiche (Northanger Abbey).

    Et puis, l’auteur du « remake » doit quand même porter un amour infini au livre. On peut se dire que l’on se trouve à la limite de l’hommage. Ça pourrait même donner envie à certains de lire l’original, ne l’oublions pas. C’est de la mashup-lit (comme il existe un courant mashup en musique). Ça ne plait évidemment pas à tout le monde…

    Pas mal de lecteurs anglophones adorateurs d’Austen ont pris le livre pour ce qu’il est, un divertissement, et l’ont adoré. Mais dans leur culture, on tend à moins sacraliser les livres dans le sens où ils ne sont pas intouchables.

    Autant les zombies, ça ne me dérange pas… Disons que l’éditeur ne pensait même pas que ça prendrait à ce point-là.
    Autant les passages érotiques rajoutés, je fais une différence puisque là ça devient purement mercantile.

    Après, il y a aussi un problème culturel à prendre en compte. La France est le dernier bastion de la pensée purement artistique de la littérature. Et les éditeurs français font bien en sorte de perpétuer la chose.
    Or, les bouquins servent surtout à faire du pognon (et dans le cas des classiques, donc non retouchés, énormément de pognon. C’est même un jackpot dans le cas d’un chef-d’œuvre. Là, « chef d’œuvre » est surtout un argument de vente, pas un statut).

    Il faudra bien que nous abandonnions cette forme de naïveté un jour… Rien n’est sacré, même pas Fahrenheit 451 qui a été publié censuré pendant des décennies… lui faisant perdre de sa signification au passage. Pour moi, cette exemple relève plus du massacre qu’un mashup qui a été écrit avec sincérité.

    • Merci pour ce point de vue, je prends connaissance de choses que j’ignorais… Mais je ne suis pas d’accord pour sacrifier le dernier bastion de la vision purement artistique de la littérature que tu considères être la France. Je ne pense pas que nous glorifions de manière si décalée des autres la capacité d’écrire. On y accorde l’importance qu’elle mérite, à mon humble avis. Et un bon écrivain se doit d’être aussi reconnu qu’un bon photographe ou un bon peintre par son milieu… Et donc, que ses oeuvres soient respectées. Mais ce n’est que mon avis.
      Et je pense que l’on pourrait en faire une dissertation de philosophie.
      On le propose au prochain bac ?

  • Oh mon dieu. Je suis choquée. Je n’étais absolument pas au courant de ces « ré-éditions ». Que les éditeurs de ces « choses » meurent dans leur vomi, niak.
    Ce qui fait la beauté du livre de Jane Austen, c’est justement cette pudeur, cette délicatesse des mots. En faire une oeuvre érotique… Zut, que les gens s’achètent des films porno (ou Resident Evil pour les zombies) et laissent tranquille des livres pareil !
    Bientôt on va retrouver « Belle du Seigneur » ré-éditée avec les scènes d’amour décrite crûment et en détails. C’est vraiment n’importe quoi.

    En tout cas merci pour ton article, je pense que tu m’évites de tirer une tête très bizarre en librairie en tombant là-dessus.

  • Moi c’est quelque chose que je n’arrive pas a comprendre. Je suis assez choquee de lire cela et qui plus est que les livres soient co-signes. Jane Austen a ecrit un roman qui est entre dans les annales de la litterature, mais cela reste son roman. Je ne pense pas que l’on puisse s’approprier un roman, quelqu’il soit pour en faire une version a sa sauce.
    La je reste sans voix. Peut-etre qu’en effet l’Industrie du livre ne poursuit qu’un but: l’argent, je crois qu’il faut savoir poser des limites et respecter la plume des ecrivains.

  • Mais qu’est-ce que j’ai ri en lisant votre article ! Vraiment, je ne comprends pas cette obsession de vouloir tout remixer/remasteriser/adapter tout et n’importe quoi en le décontextualisant complètement de sa visée première. Ce n’est pas une question d’être puriste, ni fidèle à je ne sais quel fanatisme à outrance, mais on ne peut pas tout se permettre ! Bientôt quelqu’un viendra dire « tiens si je faisais une suite à Notre Dame de Paris avec des vampires ! » ou je ne sais quoi d’autres…. Vraiment consternant.

    • N’y a-t-il tout de même pas un peu de purisme dans nos élans de contrariété ? Je n’arrive pas à la considérer. C’est comme approuver que l’on tague une copie de la Joconde pour la faire mieux entrer dans l’air du temps…

  • Je suis comme toi une grande fan de Jane Austen et je trouve assez honteux de profiter de ce chef d’oeuvre pour écrire une adaptation érotique. Néanmoins je me permets d’attirer ton attention (et celle des auteurs des commentaires précédents) sur une autre suite imaginée par une romancière très talentueuse, Elizabeth Aston. Elle imagine la vie des 5 filles des Darcy. Il existe 6 tomes si mes souvenirs sont bons. Je n’en ai lu qu’un, « Mr Darcy’s daughters », le premier de la série. Je l’ai trouvé tout simplement excellent. De nombreux fans de Jane Austen anglo-saxons reconnaissent en Elizabeth Aston sa digne héritière. Je vous recommande donc vivement ses livres! Le premier existe depuis peu en français aux éditions Milady Romance (mais rien ne vaut la VO).
    Site officiel d’Elizabeth Aston que je viens de trouver sur le net: http://www.elizabeth-edmondson.com/
    Voilàààà 🙂

  • Hello!! Je suis d’accord avec toi pour la version érotique, c’est vraiment du grand n’importe quoi! En revanche, je suis d’accord avec Nick pour la version zombie. Même si personnellement j’ai trouvé ça très mauvais (comme les 5 filles de Mr Darcy d’ailleurs), je suis presque sûre que cela aurait beaucoup fait rire Jane Austen. Après, il n’existe pas beaucoup de littérature para-austenienne en français, mais en anglais il en sort 4 ou 5 par mois, et certains sont vraiment très bien!

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