Leïla danse

20 novembre 2013 0 h 34 min

danse

 

Leïla danse.

Au milieu des femmes de sa famille, des corpulentes voisines serrées sur les banquettes chamarrées, elle danse. Sur l’épais tapis de laine, entre les tables garnies de gâteaux et de verres de thé, elle danse.

Elle évolue, gracieuse, au son des rythmes orientaux.

De sa main ambrée, sur laquelle s’enroule une fleur dessinée au henné, elle pince un pan de son lourd caftan aux reflets moirés ; de son autre bras cerclé de bracelets d’or, elle serre contre elle son petit ange nouveau-né, enveloppé dans ses langes. Et elle danse.

Un an après, Leïla danse pour donner le change. Pour clouer le bec à toutes ces matrones venues voir comment elle avait remonté la pente. À toutes celles qui avaient osé lui dire qu’elle devait être forte et sécher ses larmes, qu’elle s’en remettrait, qu’elle était encore jeune et qu’elle aurait d’autres enfants, qu’elle oublierait celui que Dieu lui avait repris.

Mais Leïla n’oublie pas – comment le pourrait-elle ?

Elle n’oublie pas les yeux de sa petite fille mourante. Elle n’oublie pas l’hôpital, le dur combat mené pendant six mois, le moment terrible où le monde s’est brutalement arrêté dans ses bras, ces longues minutes où il avait fallu se résoudre à la lâcher… Elle n’oublie pas que dans sa main, il manque une petite menotte ; qu’à ses côtés, une place sera toujours vide ; que son fils ne connaîtra jamais sa sœur.

Non, Leïla n’a pas le cœur à la fête. Elle voudrait crier tellement elle a mal. Mais sa peine, personne ne veut plus l’entendre. Et ses larmes, personne ne veut plus les voir. Dans son pays, une femme doit se montrer forte. Alors elle ravale son chagrin. Et elle fait belle figure.

Patience… Dans quelques heures, les invités s’en iront et elle pourra abandonner ce masque absurde. Elle retrouvera son mari, lui aussi débarrassé des mêmes faux-semblants, et cramponnés l’un à l’autre, loin des convenances, ils pourront enfin laisser couler leur douleur.

Mais pour l’heure, Leïla s’efforce de ne penser à rien… « Regardez toutes ce que vous êtes venues voir ! Regardez comme la fille de Malika est forte ! Comme elle a été capable de surmonter son épreuve ! »

Elle accroche un sourire sur son visage et serrant son enfant contre elle, elle danse.

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