L’homme sans mains

4 mars 2014 0 h 03 min
church night

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Il a la peau rêche, dure et poisseuse.
Elle marche dans les venelles qui entourent l’église en compagnie de sa mère.
C’est rare qu’elles se promènent ensemble.
Cela arrivait de temps à autre lorsqu’elle était enfant, mais alors, elles étaient trois et son sang se glaçait afin de s’adapter à la température du clan.
Bien sûr, il lui arrivait d’oublier, mais lorsque les siamoises la toisaient du haut de leurs jambes de mannequin des années 90 en la critiquant d’une seule voix, les degrés chutaient et ses joues pâlissaient.
Souvent, il suffisait du détour d’une rue pour qu’elles la perdent. Parfois, deux.
Lorsqu’elles quittaient la maison en trio, elle tentait de se faufiler entre leurs fines épaules, se balançant entre leurs hanches mais son espoir de se voir rassurée par un geste de tendresse se brisait en un couplet : l’étau ne manquait jamais de se resserrer. En un instant, elle était expulsée du rang ; leurs mains se tâtonnaient et finissaient par se rejoindre, sans elle. Elle s’arrêtait, hésitante, au milieu de la foule. De loin, elle espérait un regard ; les silhouettes disparaissaient dans l’ombre et elle frissonnait.
Pas une fois, elle n’a eu le courage de s’empêcher de courir.
Le corps d’où avait coulé son sang ne ressentait pas son absence. Peut-être la peau soyeuse d’une blonde ne peut-elle détecter la vitalité sucrée des reflets roux d’une gamine aux allures de garçon manqué ? Serait-ce une question chimique, hors d’atteinte, qui exclut par là toute responsabilité ?
Elles étaient donc là, sa mère et elle, à errer dans la ville sous un prétexte matériel, sans aucun doute.
A peine avait-elle dépassé la grille rouillée qui faisait face au vieux clocher qu’elle l’a senti. Un chatouillement a arpenté son dos et elle a tressailli.
Elle pouvait tout juste le distinguer mais la sensation était indéniable : un animal la caressait. Elle a levé les yeux et elle l’a vu rire de ses dents jaunes.
Sa mère est restée là, la bouche close.
Elle avait dix-sept ans et la haine l’a envahie.
Est-ce le dégoût de se voir ainsi reniée dans son droit de femme qui a pris le dessus ? Tout ce que l’on sait, c’est qu’elle a frappé.
Elle a refermé son poing et lui a asséné des coups sur le bras.
Lui, continuait à lui malaxer les fesses et ne bougeait pas.
C’est là qu’elle a réalisé … le bras qu’elle avait pris pour cible était mort ; un moignon pendait à son extrémité et le regard de l’homme, perdu dans sa folie, ne voyait plus rien que son objectif : de la pâte à pétrir et un besoin à combler.
Elle a hurlé et l’a repoussé de toutes ses forces.
Dans sa lutte, ses doigts ont frôlé l’extrémité polie de la main avortée. Elle a pincé les lèvres et s’est retournée.
Sa mère l’a suivie, tranquillement, et les paroles tièdes sont venues s’ajouter aux palpitations de son cœur.
Une fois seule, elle s’est demandé pourquoi. Pourquoi l’acte de cet homme avait conduit à tant de violence ? Était-ce la gêne d’être pour la première fois préférée à sa mère ? La colère de voir celle-ci rester de marbre face aux mauvais traitements des hommes à son égard ? Ou la honte créée par l’évocation, aussi subtile soit-elle, de sa sexualité ?
Oui, c’était cela : elle ne voulait pas posséder de sexualité, pas aux yeux des autres.
Elle n’en voulait pas, c’était hors de question.

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