Magic Mirrors

24 mars 2014 22 h 04 min

«Bienvenue ! Goedenavond! 4 euros ! Vier euros!»

src/ weheartit.com

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Je pénètre sous la tente.
Je détache précipitamment la bande velcro de mon porte-monnaie et dépose le restant de ma fortune au creux de sa main :
1.
1 euro 50.
1 euro 75.
2.
3.
3 euros 20.
3 euros 60.
4 euros !
Le gars vise, lance les quelques pièces ; elles s’entrechoquent au fond de sa caisse. Il actionne le cachet et pivote sur sa chaise: « Au suivant ! ».

Pièces. Cachet. Pièces. Cachet.
Bling! Paf. Bling! Paf.
Le tintement de l’argent et le grincement des rouages de la presse répondent à la cadence du swing qui se joue sur la scène.
Les musiciens se déchaînent sur le morceau : on dirait que le diable a pris possession de leur âme.
Je m’installe à une des tables qui entourent la piste et je me prépare tout en les observant. Une tirette qui se dézippe, des chaussettes qui filent et des chaussures qui glissent. Je suis mûre, Magic, ravie de tes contre-temps.

Une variation. Voilà que la trompette s’élance et entame un solo.
Il n’y a plus de partitions, juste une inspiration : ça s’accélère, ça s’intensifie, ça explose !
Je pose mon manteau et on m’interpelle : « Tu danses ? »
Je claque la langue en guise d’accord.
L’excitation monte et avec elle, la sueur.
Au milieu de la piste, j’écoute les danseurs tourner.
Je virevolte, tu virevoltes, nous virevoltons.
Merde, j’ai chaud. Mon pull traverse la salle: une boule de feu qui s’évanouit sur un banc rétro.
Mon cavalier me crie à l’oreille :
« Une deuxième danse ?
– Oui, d’accord ».
Cette fois, c’est langoureux et c’est sexy. J’ai du blues dans le cœur et il me saoule.

Une pause. Il m’offre un verre.
Psschhittt… Ma bouche, ma gorge et mon palais, à bout de souffle, s’abreuvent tant bien que mal de la moindre goutte. J’ai si soif de fraîcheur, je me hâte tant qu’une gorgée de bulles me monte au nez.

Le silence.
C’est au tour du DJ de prendre les commandes, le temps de permettre aux musiciens de se désaltérer. Avec lui, les décibels fondent et je suis forcée d’accorder quelques paroles supplémentaires au vert-galant. Mais mon calvaire ne durera pas longtemps ; le groupe remonte sur scène et le tempo s’accélère. Les débutants s’agacent et les téméraires se lâchent.

Je suis à nouveau sur la piste et les danseurs sont en transe. Ils s’agitent et me brusquent.
Clac, un coup de genoux. Paf, une pointe de semelle sur le tibia. Crac, un talon qui se méprend et confond mon orteil avec le parquet ciré. Il était pourtant rouge ainsi nouvellement chaussé. Mon sang bouillonne et mes tympans grésillent. Mais que faites-vous là ? Mon espace, il est à moi. N’avez-vous pas vu le stop ? Écartez-vous !
Je m’assieds et j’entends mon genou gonfler comme un ballon de baudruche prêt à exploser.

Plus loin, un groupe de filles. Des rires et des regards en coin.
Je les interroge : « Que se passe-t-il ?
– On évite un gros lourd, gloussent-elles ».
Oui, des hommes lourds, il y en a ici. Ils pullulent aussi facilement que les jeunes enfants arrachent les ailes des papillons.
Souvent, ils sont fiers.
Cocoricoooo !
Ils guident le moindre pas des femmes et leur broient les poignets.
Je peux percevoir le craquement des os par-dessus le vacarme de leurs mouvements saccadés.
Les coqs, eux, sont sourds, mais ils ne sont pas muets.
« Une danse ? »
« Non. »
Je tourne les talons et je quitte la tente, sans tambour ni trompette.

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