Une disparition

28 avril 2014 12 h 14 min

La vie a changé doucement. La vie a changé par petites touches. Ici et là, des sourires. Ici et là, des échanges. Ici et là, des nuits sans insomnies. Ici et là, des larmes plus apaisées. On aurait dit un tableau qui se dessinait sous le coup de pinceau d’un peintre amateur. Il y avait un peu plus de couleur dans sa vie. Les zones d’ombres n’existaient que pour offrir plus de relief aux instants teintées d’une lumière toute nouvelle.

 

Il faut du temps pour se reconstruire. C’est ce que sa mère lui avait toujours dit. Elle entendait encore sa voix, douce et chantante. Elle entendait encore ses pas dans l’escalier, ses pas d’avant, ses pas rapides et étouffés. Elle la revoyait dans sa belle robe à fleurs, celle qui virevoltait autour de ses longues jambes, quand il y avait du vent. Elle se remémorait ses mots, ses histoires de sages hindous, ses recettes élaborées au hasard avec les restes de la veille. Elle dessinait ses rires, ses yeux pétillants, ses mains habiles dans un carnet d’écolière.

Emilie admirait sa mère, qui tous les matins depuis bientôt quinze ans, se levait aux aurores et prenait le chemin du cimetière, un bouquet de fleurs à la main. Elle admirait sa détermination à se souvenir des choses, à ne rien oublier, du plus petit grain de riz perdu sous la table au souvenir d’un chapeau de mariage. Elle admirait sa présence et sa sérénité face aux aléas de la vie, qui ne l’avait pas épargnée. Elle aurait voulu que sa mère soit éternelle. D’ailleurs, elle avait fini, avec le temps, par la placer si haut qu’elle n’arrivait pas à accepter qu’elle puisse cesser d’exister.

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C’était un jour comme les autres, un dimanche de fête, comme tous les dimanches de son enfance. Emilie avait dressé la table dans le grand salon blanc. L’air était frais. La fenêtre grande ouverte laissait une place de choix aux rayons du soleil, qui s’offraient le luxe d’une pause appétissante. Emilie attendait du monde, des amis de sa mère surtout. Elle avait préparé cette fête. Elle avait envoyé les invitations en avance. Elle s’était rendue chez le traiteur pour que sa mère ne se doute de rien. Elle voulait lui faire la surprise, une surprise dont elles avaient évoqué la possible existence entre deux secrets, un jour sur la plage à la tombée de la nuit.

Tout était prêt. Tout se tenait. Les invités portaient des tenues de circonstance. Tous entassés dans la cuisine, ils attendaient l’heure fatidique des explosions de joie, des serpentins roulés, des embrassades et des félicitations.

C’était un jour comme les autres. Mais ce jour-là, sa mère n’est pas rentrée du cimetière. Les invités ont attendu, alors même que les gendarmes quadrillaient la zone. Emilie a veillé toute la nuit. Elle a même pris la route du cimetière au petit matin, avant que le coq ne chante. Elle a pensé pouvoir la voir sur le bord de la route, essoufflée, perdue. Elle a pensé pouvoir la découvrir dans un recoin que les policiers n’avaient finalement pas balayé. La table est restée couverte d’un drap blanc et d’assiettes immaculées. Emilie a fermé la porte sur ce souvenir, qui lui arrache encore quelques cris, quand autour d’elle les gens évoquent toutes ces disparitions énigmatiques.

Source Image – The Shadow of your heart

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