Concours de la rentrée #Nattyork

29 octobre 2012 17 h 00 min

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Ce jour-là, à la fin du mois de septembre, en l’espace de dix minutes, quelque chose a basculé. L’émotion était telle que mon corps tout entier s’est mis à trembler. L’air s’est mis à manquer. Mes yeux se sont troublés de larmes.


J’avais attendu cette lettre pendant des heures, puis des jours – des nuits surtout – ensuite des semaines et finalement des mois. Mois pendant lesquels j’oscillais entre angoisse et espoir, entre peur et confiance entre destin et destinée. J’étais en équilibre sur le fil de ma vie dont le sort ne dépendait plus de moi. Non pas qu’il en ait jamais vraiment dépendu mais, cette fois-ci, j’étais arrivé au bout de mes capacités d’influence. J’avais vaincu mes appréhensions, dépassé toutes les barrières qu’il m’avait été donné de franchir et pris en main mon avenir. J’étais allé le plus loin possible sur le chemin qui me mènerait, peut-être, vers le bonheur.


Septembre précédent.

Un homme doit prendre soin de sa famille. Un père doit nourrir ses enfants. Un époux doit honorer sa femme. Un fils doit veiller sur ses parents. Et moi je ne pouvais plus. Je n’étais plus ni un père, ni un époux, ni un fils. Je commençais même à ne plus être un homme.


Octobre.

J’ai alors dû choisir. Abandonner les miens, chaque jour un peu plus, en restant auprès d’eux. Nous regarder mourir à petit feu dans l’indifférence générale du voisinage voué au même sort et dans celle du reste monde. Ou bien les quitter et tenter ma chance en d’autres contrées. Celle qui sont conditionnelles ou interdites ; parfois pourtant si généreuses.


Tout d’abord il avait fallu vaincre mes peurs. Ensuite, renoncer à ma famille. Mes parents… Ce fût violent mais supportable. Mon épouse … Ce fût injuste mais acceptable. Ma fille… Ce fût déchirant, insurmontable. J’avais ensuite dû quitter mon village, ma terre, mon pays. Je m’éloignais peu à peu de tout ce qui m’était cher et familier m’approchant lentement d’une ascension plausible.


Je partis donc avec pour seul bagage les rêves et les espoirs de ma famille. Pas de grands rêves, non ! De petits rêves tous simples et raisonnables comme celui de manger à sa faim, d’aller à l’école, de vieillir sereinement avec, pourquoi pas, le luxe d’un léger sourire aux lèvres.


Novembre.

Marcher, marcher, toujours marcher. Marcher de nuit. Marcher de jour. La chaleur. La soif.


Décembre.

Marcher encore. Le froid. La faim. La peur aussi. La fatigue. Dormir. Continuer de marcher. Ne pas s’arrêter. La semelle qui s’use, le pied qui se blesse. Souffrir. Marcher. Saigner. Le moral qui flanche. Pleurer.


Janvier.

Marcher. Courir, se cacher, suffoquer, se perdre, s’essoufler. Dormir. Attendre. Trembler. Attendre. Trembler. Attendre. Crier en silence. Repartir. Marcher.


Ainsi se traversent les frontières. Les lignes de démarcation. Les barrages. Les contrôles. Discrètement, insidieusement, clandestinement.


Entre deux étapes, l’attente. Attente des passeurs. Des convois. Le silence. L’angoisse. Les risques. Les autres. Peurs contagieuses et démence collective.


Et en filigrane, les souvenirs qui me protègent et me rendent indestructible: ma survivance. Le goût salé des larmes dans les yeux de ma mère. La chaleur de la main calleuse de mon père sur mon épaule. La tendresse du sein doux de ma femme. Le sourire pétillant de ma fille.


Marcher, marcher, ne pas ralentir.


Février.

Le dernier passage. Le plus risqué. La dernière frontière. Schengen. Le paradis sur terre. Enfin… Le nôtre. Plus qu’une terre promise, une terre prometteuse.

Un homme. Je redeviens un homme. Je vais redevenir un père aussi, un époux, un fils. Dignité inébranlable de celui qui peut veiller sur les siens. Simplement. Tout simplement et équitablement.


Je suis passé. Mes pieds se posent sur ce sol-là avec une allégresse qui m’était alors inconnue. Je fais mes premiers pas sur cette terre comme un enfant qui débute. Titubant, incrédule, émerveillé. Tout lui devient possible lorsque le petit d’homme se redresse et fait ses premiers pas. Je revis cet instant dans le souvenir de la main tendue de ma mère et du regard confiant de mon père.


Février, février, février !

La frontière est derrière moi ! Je me sens libre ! Libre d’oser espérer ! Les gens sont beaux ! Occupés ! Pressés ! Ils sont de mille couleurs ! Habillés de mille feux ! Repus de mille festins ! Ils se déplacent avec conviction et légèreté ! Ils m’entraînent dans leur tourbillon telle une danse improvisée ! Je renais, je revis ! Le rêve est devenu réalité ! Je n’ai plus ni mal, ni soif, ni faim. Je ne sens plus la fatigue des mois de marche, de crainte et d’angoisse.


Je m’adresse à mes hôtes, on me renseigne, on me dirige, on m’indique, on me guide. Demande d’asile. Il faut faire une demande d’asile. Je m’exécute. Enregistrement. Procédure. Audition.

J’explique, je raconte, je détaille.

La récolte détruite par le manque d’eau. L’élevage ruiné à cause des importations. La maman, le papa. La petite, l’école. Mon épouse. Le droit au bonheur. La faim.

Travailler. Je veux juste travailler. Je veux juste être un homme.


Alors vient l’attente. L’attente longue et périlleuse.

J’attends des heures, des jours – des nuits surtout – des semaines, des mois.


Mars, Avril, mai, Juin, Juillet, Août. Septembre.

Puis vient le courrier de réponse, enfin, vers la fin du mois de septembre et c’est là que tout a basculé. Par ces quelques lettres, mon rêve s’est brisé : Rebouté.

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