Masque sous emprise

10 mars 2014 22 h 16 min

Ils formaient un couple normal. Un couple idéal même. Une image que chacun se plaisait à polir, à faire briller. Une image qui collait à l’époque, à leurs situations respectives, à leur statut familial, une belle image et rien d’autre. Personne ne le savait. Leurs mensonges ne regardaient personne. Leurs mensonges les protégeaient.

–      « Combien de fois ?

–      Combien de fois quoi ?

–      Combien de fois as-tu couché avec elle ?

–      Je ne sais pas.

–      Tu te moques de moi. Dis-moi combien de fois ?

–      Ca n’a pas grand intérêt.

–      Tu as raison. Ca n’a même aucun intérêt. Ni toi, ni elle, n’avez d’intérêt. Mais je veux quand même savoir. Je veux me souvenir des jours où ton corps a épousé le mien dans la chaleur de la nuit, après avoir touché sa peau. Je veux pouvoir reconnaître les draps dans lesquels tu m’as trahie, salie et les déchirer. Je veux savoir où, avant de comprendre pourquoi. Je veux te voir perdre tes moyens, t’entendre me dire que c’est fini ou que ce n’était rien qu’une passade.

–      Ce n’est pas une passade. Je l’aime.

–      Comme tu m’aimes depuis 20 ans. Ou comme tu m’as aimée à 20 ans ?

–      Quelle différence ? »

Prise au dépourvu par son ton et son assurance, elle ne savait pas quoi dire. Elle avait souvent imaginé ce dialogue avec lui. Elle avait espéré qu’il avouerait, en lui répétant qu’elle seule comptait à ses yeux. Elle avait prévu qu’il lui dirait tout ou qu’il nierait en bloc encore une fois. Elle avait préparé son discours, ses réponses, ses objections, le ton de sa voix.

La différence lui sautait aux yeux, mais au moment de parler, les mots restaient bloqués dans sa gorge. Elle se détestait d’avoir osé l’affronter sur ce terrain et de ne pas pouvoir riposter davantage.

Elle savait qu’il la trompait. Il avait rencontré l’autre femme à Milan, lors d’un congrès de médecins. Son prénom était revenu dans bon nombre de leurs conversations depuis. Il était retourné à Milan. Plusieurs fois même. Etait-elle Italienne ? Ou Milan était-elle la seule ville à pouvoir garder leur secret intact?

Ce n’était pas vraiment tous ces voyages qui lui avaient mis la puce à l’oreille. C’était plutôt ses attentions soudaines à son égard. Il n’avait jamais été le type d’homme à lui offrir des cadeaux, surtout depuis qu’ils étaient parents, depuis que leur vie allait à cent à l’heure et que les seuls moments qu’ils partageaient sereinement ensemble étaient ceux passés dans leur chambre à coucher. Il était revenu de Milan avec des bijoux. Des bijoux en or même. Il passait souvent lui acheter des fleurs après le travail, l’emmenait au restaurant et il lui était même arrivé de lui apporter le petit déjeuner au lit.

Elle avait préféré fermer les yeux, pensant qu’il s’agissait d’une aventure sans lendemain. L’autre femme devait sûrement être mariée. C’était un scénario qui lui convenait. Elle se sentait même prête à passer l’éponge, à lui pardonner. Ce n’était rien, rien qu’une petite entorse au contrat. C’était mieux d’accepter que de tout envoyer balader. Ca n’aurait servi à rien, sauf à entacher l’image qu’elle renvoyait au monde, l’image d’une épouse amoureuse, d’une mère dévouée, d’une amie généreuse et d’une femme épanouie.

L’image lui plaisait autant qu’elle plaisait au reste du monde. Elle ne voulait pas l’abîmer, ni la voir disparaître. Elle était autant attachée à cette image qu’à l’homme qui la complétait. S’il disparaissait du tableau, l’image ne résisterait pas, elle le savait. Il fallait donc sauver les apparences coûte que coûte, et trouver une réponse à la question qu’il posait. Elle n’avait pas le choix.

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