On joue l’amour à même le corps ? (Manon&Raphaël #2)

29 août 2012 7 h 39 min

« On s’en fait un autre pour s’aimer toutes les nuits ? »

Parce que Raphaël joue l’amour à même le corps.

Toute la nuit, sur un cd qui tourne en boucle, il laisse ses empreintes éparpillées le long du mien, de la trace rougie de désir laissée par sa bouche au creux de mon épaule jusqu’au corps fêlé qui me prend au réveil. Courbaturé de trop d’amour, de désir, de trop vivre, de ressentir jusqu’à l’infini tout et puis cet autre qui ne fait tellement qu’un, si souvent.

De l’infini dans lequel il me pousse, jusqu’à ces murs érigés en moi qui n’existent pas, aussi. Qu’il fait tomber sans bruit.

Un soir, il m’a pris la main, et m’a dit « Manon, viens. » J’étais saoule, on était dehors et il faisait froid, et j’ai demandé par réflexe si on allait loin. Il a soufflé comme une promesse : « Oui, où personne ne va. » J’avais trouvé ça osé et sexy. J’avais cru qu’il était juste trop défoncé pour être cohérent.

J’avais cru. Mais Raphaël extirpe d’une seule seconde l’univers plié recroquevillé entre les doigts chargés d’immensité qu’il enserre autour de moi. Il m’offre au monde, avec cette confiance insolente des gens qui vivent à revers. Et qui s’en foutent.

Parce que Raphaël conjugue les cœurs au corps. Les sentiments chevillés au désir. Dépendance pour dépendance, accrochés à l’existence. Pas question de tirer dessus, on la laisse glisser, venir, s’installer, s’enfuir. Doucement, il conjugue le manque à tous les temps et nous dessine dedans.

– Tu es douce Manon. Et terriblement jolie aussi. Un peu insaisissable. Tu sais que les mecs disent que tu es froide, juste parce qu’ils ne savent pas comment d’atteindre ?

Je hausse les épaules et je ne réponds pas. Je me fiche d’être froide ou jolie, je me fiche de demain et puis d’aujourd’hui. Le flot des paroles de Raphaël me berce. J’essaie de résister contre le sommeil comme une enfant qui a peur de rater quelque chose d’essentiel.

Le bonheur n’est rien d’autre qu’un instant où on ne veut pas être ailleurs.

Toutes les nuits, et celle-là ne fait pas exception, il me caresse et m’empêche de dormir. Il étire les moments à l’infini pour que je tombe de fatigue contre lui. Ou bien il est juste trop stone pour pouvoir s’endormir. Je ne sais pas. Je crois qu’il aime les nuits qui n’en finissent pas, cet instant qui n’est plus vraiment quelque chose, à l’heure où tous les autres ont renoncé. Il dit que les rêves c’est plus facile que la vie.

Il me parle de tout, de rien, de dessins animés, de New York et de théorie d’atomes.
Je suis déjà loin dans le sommeil quand je l’entends murmurer :
– Manon, l’amour c’est aussi désordonné que le big bang. La liberté, la vraie, se vit dans les entraves enroulées autour de nos corps amoureux. On les brise chaque fois qu’on le fait, tu le savais ?

Je trouve ça beau. J’aurai oublié dans trente secondes, peut-être moins. Je suis tellement épuisée que je n’écoute plus ses délires, je vois flou et je suis sûre que c’est arrivé au monde entier, de vivre cet instant où l’on veut juste dormir, où les yeux piquent et brûlent. Où on est en filigrane de la vie, où nos désirs, crus et vifs, parlent pour nous. Sans politesse, sans mensonge. Cet instant que Raphaël attend pour me jeter ce regard aux pupilles dilatées qui en dit trop long sur ce qu’il pense et pas assez sur ce qu’il va faire.

Il se rapproche et me regarde vaciller. Il me touche et ma peau frissonne. Ses mains remontent doucement le long de mes cuisses, et le plafond se met à tourner. Les formes inanimées de la veilleuse d’enfant et sa voix qui vibre me descendent dans le ventre. Je ferme les yeux. Je ne sais plus qui je suis, je sais pas si je veux l’être, ou le redevenir, ni ce qu’on est ensemble. Je ne pense rien, je veux juste garder l’émotion brute, violente pour le coeur et douce pour mon corps, et sa présence, profondément.

La liberté, la vraie, se vit dans… dans quoi déjà ?

Je ne sais pas combien de temps s’est éclipsé dans notre corps à corps. Je dors à moitié d’une trêve après l’amour. Tout m’échappe, et je m’en fiche. Je ne sais pas quelle heure il est. Quelle importance ? Il a abandonné ses cd rayés sur la moquette et la lumière est encore allumée. Quel jour on est déjà ? Je crois qu’il fait jour, je vois l’aube à travers les volets. Le soleil rougi se lève sur le monde. Des pensées défilent dans ma tête, en vrac sans s’arrêter, le monde est instable. A moins que ce soit moi. Il y avait quoi dans mon verre, déjà ? Je n’ai toujours pas répondu à cette question, et je me dis qu’il aura forcément la réponse.

Je me retourne dans le lit, Raphaël me regarde intensément avec cette simplicité des choses qui ne sont pas à prouver et me dit d’un ton trop sérieux :
– Manon, tu couches avec un camé.
Je souris.
– C’est une façon bien romantique de présenter les choses en effet.
– Tu préfères que je te dise que parce que je t’aime tu vas te perdre avec moi ?
– Pour toi, avec toi, quelle différence ? C’est juste une question de mots.

Je n’ai pas peur, j’ai signé avec Raphaël pour vivre sur cette brèche du cœur.
Je murmure, à moi-même plus qu’à lui :
– Les nuances sont pour ceux qui ont peur des choses.

L’absence d’esquive dans ses yeux est comme un signe que la nuit et le jour se confondent tellement qu’ils sont forcément de mèche.

Je n’ai jamais eu peur de me perdre par amour. Je m’endors enfin, mes jambes entrelacées dans les siennes.

Vous en parlez

  • C’est particulier comme tu réussis à rendre cet état de vague à l’âme lié à la « défonce » aussi pur. C’est difficile d’expliquer ce que je vois quand je lis tes textes… C’est comme une dimension de rêve dans la réalité, un flottement, une réalité flouée par les vapeurs et la fumée.

  • Tout à fait d’accord avec Fleur De Menthe !
    J’aime tant comment tu décris les émotions, les ressentis de chacun, c’est brut et c’est délicat à la fois. Sublime !

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