Terreur nocturne

18 février 2014 12 h 01 min

loneliness night

src/ weheartit.com

Je n’avais encore jamais osé l’exposer, mettre des mots sur cette expérience irréelle. En fait, je ne voulais pas raconter cette histoire, je ne voulais m’attirer jugements et regards cyniques. Et pourtant, il faut croire qu’il suffisait de me pousser à bout.

C’était une de ces soirées stupides où les apparences et les ronds de jambes étaient de mise. La pièce brillait de mille feux, alors que dehors il faisait nuit noire, avec pour seul témoin la lune tout entière.
« A plus de trois heures du matin un samedi soir, si l’alcool n’a pas coulé dans vos veines, alors c’est la fatigue qui vous a envahie depuis longtemps. Pour vous, cela aura peut-être été la drogue injectée avec une aiguille peu recommandable ou avalée par naïveté, et cela vous aura fait perdre toute notion de réalité »
Dans une nuit de septembre, sombre et froide, une fille s’était laissée dériver sur la route, emmenée peut-être par une voiture qui passait par là.

Oui, cela peut arriver leur lançais-je, crachant à qui me regardait tout le venin qui coulait dans mes veines. Sans alcool, ni drogue d’aucune sorte. Pour moi, cette nuit-là, il m’avait suffi de me laisser guider par cette voix qui me chuchotait à l’oreille, mon instinct.

L’instant d’avant, ils se congratulaient du choix du vin hors de prix. Maintenant, voilà qu’ils ne pipaient plus mot, se limitant à s’échanger des regards pleins de sous-entendus, laissant leurs grosses mains croisées sur leur ventre gonflé à l’hélium. L’espace de quelques secondes, ces trois califes étaient comme figés par ma parole, mon ton un peu trop porté peut-être. Puis, tels des pantins retrouvant l’usage de leur corps, ils se mirent à rire grassement. Leurs mains retrouvaient leur agilité toute relative, et frappaient mon histoire dans les airs comme on chasserait une mouche.

Mon verre à la main, je leur tournai le dos d’un coup, et je pris le parti de raconter cette histoire déjà qualifiée de folle.

C’était il y a des années maintenant, et il arrive encore aujourd’hui que je m’interroge. La nuit était noire, aussi noire que celle-ci. Aucune lumière ne brillait dehors. On pouvait à peine distinguer la limite entre la route et les champs de lavande. Seule la lune sait comment je me suis trouvée sur le bord de cette route. Je m’étais mise à marcher pour réfléchir, et noyée dans la pénombre, j’avais fini par ne plus savoir où j’étais. A force de marcher sans but, mes jambes me faisaient mal, et mes genoux avaient plusieurs fois rencontré le sol. Je pouvais sentir le sang couler lentement jusqu’à se glisser dans mes chaussures. Mes jambes continuaient de me guider. Au-delà de la fatigue du corps, au-delà de l’appel du sommeil qui se faisait de plus en plus fort, j’avançais.

Soudain, j’aperçus au loin une voiture qui avançait en silence. L’envie de dormir me quitta dans la seconde. Je pris peur. Habituée à la nuit, la lumière des phares m’agressait bien qu’elle soit encore loin. La voiture était lente et silencieuse. Je n’entendais rien, rien du tout, et pourtant elle avançait. Elle avançait vers moi. Son allure était aussi lente que mon pas. Je n’étais pas encore assez proche pour qu’elle me voit, et pourtant le sentiment d’être observée ne me quittait pas. Lorsqu’elle fût à moins de trois mètres, je remarquai qu’elle était arrêtée. Les phares étaient allumés, jaunes, n’éclairant que le minimum au-devant de la voiture. Je ne distinguais personne sur le siège conducteur, et pourtant, quelqu’un était là. Je pouvais sentir un regard, entendre une respiration. Un grand froid m’enveloppa. J’étais gelée en-dehors, frigorifiée en-dedans, quand mon front sembla ruisseler d’une transpiration nouvelle. Impossible de fuir. Un champ magnétique m’attirait dans les phares de cette voiture et c’est le corps raidi que j’osais un pas dans la lumière. Alors ils se sont éteints, et je retrouvais la nuit sombre, le noir le plus complet. Je choisis de tourner le dos à la voiture et pour tenter peut-être de revenir sur mes pas. Mais cette respiration toujours, cette présence qui semblait se glisser sur ma peau, me nouait la gorge. Mes jambes étaient tétanisées. Dans le silence, j’entendis un bruit. Quelqu’un était là. C’était le bruit si particulier de succion quand la langue cherche la salive. Une langue qui me touchait, me léchait, me lapait la jambe. Je ne pouvais pas bouger, j’étais condamnée à rester là et attendre la fin, la souffrance, et peut-être la mort, si j’avais de la chance. C’est alors qu’une lumière jaillit derrière moi, projetant ce jaune que je commençais à connaître. A mes pieds, il n’y avait rien. Je sentais pourtant encore la langue parcourir mon mollet, la salive recouvrir ma peau.

Ensuite, rien. Je ne me souviens pas que mes jambes se soient réveillées, je ne me souviens pas les avoir prises à mon cou. Toujours est-il qu’au petit matin, je me réveillai au milieu du champ de lavande. Sur le bord de la route, une vieille voiture aux phares éteints m’attendait. Est-ce que j’avais rêvé tout çà ? Était-ce un instant de folie ? Je l’ai pensé, sincèrement. Mais au fond de moi, je reste convaincue que tout cela est vraiment arrivé.

Je me détournai de la fenêtre, et je vis alors que mes auditeurs s’en étaient allés. Seul me faisait face un homme âgé, visiblement très intéressé par mon discours. Il était petit, le crâne parsemé de quelques cheveux blancs, le front ridé, et la peau piquetée de taches brunes. C’était un homme que je n’avais encore jamais vu.

– Cette vieille voiture, Mademoiselle, pourriez-vous la reconnaître ?

– Je ne sais pas, il faisait sombre, et c’était il y a si longtemps…

C’est alors qu’il me sortit une photo prise de nuit sur une route de campagne. Je la reconnus de suite. C’était une 2CV de toute évidence.

– Je vous présente Canari, ma voiture… »

Vous en parlez

Ecrire un mot ?

Vous avez un compte ? Connectez-vous

obligatoire

obligatoire

optionnel