Exilée de l’enfance – Marie

4 juin 2012 12 h 00 min

Elle se réveilla, étourdie de son rêve. Mais ce n’était pas un rêve.

Les cigales chantaient bel et bien autour d’elle. Elles chantaient ! Elle les avait imaginées si souvent dans la froideur de cet hiver lointain. Toute une année d’attente de l’autre côté de la mer. Mais cette fois, elles étaient bien réelles. Leur chant emplissait tout l’espace, résonnait à ses oreilles comme un écho de l’enfance.

Elle inspira profondément, imprégna tout son être de l’odeur des pins qui l’entouraient. Le vent agitait doucement leurs branches dans le ciel d’azur. Aucun ciel au monde ne serait jamais aussi bleu. Aucune terre ne lui serait jamais aussi précieuse. Elle en connaissait la moindre senteur, la moindre brindille, le moindre insecte. Elle avait arpenté ses collines sans relâche sous le soleil brûlant, tantôt fière Comanche sur le sentier de la guerre, tantôt noble chevalier sur son fidèle destrier à deux roues. Elle avait nagé dans le turquoise de ses lacs glacés, terrorisée à l’idée d’être frôlée par un serpent. Elle s’était écorchée les mains sur l’écorce des chênes pour y construire des cabanes, avait cassé des pierres pour mettre à jour des fossiles, avait creusé la terre rouge et sèche à la recherche de coquillages antédiluviens… Elle avait passé des heures accroupie au dessus des fourmilières. Elle s’était nourrie des paysages somptueux au point qu’il lui était vital de pouvoir perdre ses yeux dans l’horizon. Cette terre toute entière vibrait en elle.

Et pourtant, elle vivait loin.

Un minuscule lézard courut sur la façade et disparut sous les tuiles. Elle avala goulûment une nouvelle bouffée d’air odorante.

La porte-fenêtre s’ouvrit. Sa mère apparut dans un éclat de rire, suivie de sa sœur. Elles s’installèrent gaiement autour de la table où le plateau de jeu était déjà préparé. Le café fumait dans les tasses. Les calissons ne demandaient qu’à être mangés. Les enfants jouaient au fond du jardin, cousins et cousines réunis. Elle était bien.

Elle savoura intensément cet instant, le mit soigneusement de côté en prévision de la grisaille à venir, et plongea la main dans le sac de lettres : A ! Je commence…

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