Un jeu dangereux

1 décembre 2013 21 h 58 min

Suite du texte L’apprentissage du désamour

 

Elsa n’est pas revenue.

Pendant des mois, je me suis repassé le film de notre histoire, pour trouver un indice qui me permettrait de saisir l’instant ou tout a basculé, sans que je m’en rende compte. Ca ne sert à rien. Et pourtant je prends plaisir à m’esquinter les mains, à feuilleter chaque album jusqu’à l’aube, à fouiller les entrailles de notre passé, comme pour lui soutirer des aveux. Mon passé se moque bien de moi. Il me nargue et me dit que je l’ai bien cherché. Elsa est plus heureuse sans moi.

Je suis seul. J’ai perdu le gout de vivre. Je pleure sur mes mensonges, sur ma vanité, sur mon hypocrisie. Elsa a eu raison de me quitter. C’est ce que le destin veut me faire gober, mais je sais que sans moi, Elsa n’est rien.

J’ai longtemps voulu faire croire au monde entier que nous étions un couple normal, un couple heureux. Personne ne devait savoir que derrière cette façade ordinaire, que derrière le couple très banal que nous formions elle et moi, se dessinait une psychose aigue.

A l’extérieur, nous étions beaux, intelligents et follement amoureux. Les autres enviaient notre sérénité, notre gout pour les belles choses, notre symbiose.

A l’intérieur, nous laissions nos démons prendre le dessus, nous devenions des bêtes en quête de morsures et de domination. Personne n’aurait pu comprendre, et pourtant c’est dans cet asservissement morbide que nous nous sentions pleinement vivants.

Je lui ai souvent dit que j’allais la quitter. Elle a souvent juré qu’elle ne me laisserait jamais partir.

–          « Plutôt mourir que de laisser à une autre la place qui est la mienne, disait elle

–          Mais tu meurs déjà, ici et maintenant, là, dans mes bras.

–          C’est la place que j’ai choisi, celle qui me revient. Tu n’as rien à redire la- dessus.

–          Mourir ressemble à un jeu pour toi. Tu cherches quoi au juste ?

–          A ton avis ? A te détruite, à petit feu. »

Et elle éclatait de rire, en disant cela. Ca ne me faisait meme pas peur.

Nous détester, c’est ce que nous savions faire de mieux. Nous ne nous disions jamais de mots doux. Nous n’existions que dans le rapport de force, dans la soumission de l’un, dans la violence de l’autre. Puis nous rendions les armes. Nos corps jaloux finissaient enlacés. Les cris d’extase se mêlaient aux cris de haine. Son corps se tordait sous la puissance de mes bras. Aux yeux du monde, nous étions deux amants fous, deux âmes perdues à la recherche d’une quelconque rédemption. Nos ébats n’étaient que des crimes passionnels en puissance. Nous aurions pu nous entretuer à ce jeu malsain.

Au lieu de ca, c’est Elsa qui s’en sort indemne. Elle a brisé les règles du jeu. Elle a sauvé sa peau, alors que la mienne s’enflamme à chaque souvenir d’elle. Elle a doublement gagné son pari, comme toujours.

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